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Barthes





n°3 - Barthes en revues (1942-1980). Effets de série, contextes de publication et réception des articles de R. Barthes > mars 2017




Suk-Hee Joo

La parole de Roland Barthes dans la presse masculine : de la figure subjective au « mythe contemporain »


Lorsque Roland Barthes accorde deux interviews au magazine Playboy, en 1977 puis en 1980, et qu’il écrit un article pour Vogue Hommes en 1978, il est déjà depuis longtemps un intellectuel reconnu, très présent sur la scène médiatique et récemment élu professeur au Collège de France. En choisissant de parler dans ces titres emblématiques de la presse masculine, Roland Barthes déjoue donc les attentes liées à son statut d’intellectuel : ce choix n’est pas anodin, et suscite notre curiosité, mais faut-il y voir une intention particulière ?

Si Playboy et Vogue Hommes sont d’abord perçus, dans l’imaginaire collectif, comme des magazines de loisirs, de mode et de consommation, ils intègrent aussi des articles sérieux portant sur des sujets sociologiques, psychologiques ou même littéraires. C’est du moins ce que souligne dès 1970 Jacques Mousseau dans l’étude qu’il consacre à la version américaine de Playboy

Chaque numéro est un cocktail inattendu et émoustillant pour le regard comme pour l’intelligence, d’articles, d’enquêtes, d’éditoriaux ou d’entretiens d’un niveau élevé, de photographies de nus en quadrichromie, de dessins d’humour, de nouvelles signées par des écrivains de notoriété mondiale, de recettes et de conseils garantis “dans le vent”[1]

Par la diversité de leur contenu, les magazines masculins s’inscrivent donc dans le mouvement de la mode, de la « vogue », de la « tendance ». Sans doute cette caractéristique de la presse populaire n’est-elle pas étrangère à l’intérêt que manifeste Roland Barthes pour de tels supports médiatiques. Quant aux sujets que le sémiologue aborde dans Playboy et Vogue Hommes, ils ne portent pas particulièrement sur la masculinité. Ils semblent plutôt lui fournir l’occasion de faire entendre une parole personnelle, parfois même intime, qu’il s’agisse d’amour (dans l’entretien pour Playboy de septembre 1977), de régimes amaigrissants (dans celui de mars 1980) ou de la nuit parisienne (dans l’article pour Vogue Hommes de mai 1978).

Le propos de cette étude n’est donc pas d’aborder la question de la masculinité en tant que telle, mais plutôt de chercher à voir quelle figure de Roland Barthes se dessine à travers la parole atypique qu’il déploie dans la presse masculine. Ce corpus restreint est élargi, dans le même temps, à d’autres articles et entretiens, publiés à la même période dans d’autres titres de presse, dans lesquels le sémiologue aborde des sujets connexes. Notre démarche consistera à les relire dans la perspective du retour critique opéré par Roland Barthes sur les Mythologies au début des années 1970 et de l’élaboration d’une nouvelle manière de pratiquer l’analyse mythologique. L’enjeu de ces lectures croisées est de faire apparaître des effets de complémentarité et de montrer comment le discours sémiologique s’intègre dans ces supports médiatiques, vecteurs de la culture de masse.

La première partie de l’analyse consistera à examiner la manière dont s’affiche la subjectivité de Roland Barthes dans la presse masculine.



I. La figure subjective de Roland Barthes dans Playboy et Vogue Hommes : le « je » démultiplié.


En lisant les deux entretiens publiés dans Playboy (septembre 1977 et mars 1980) ou l’article de Vogue Hommes (mai 1978), le lecteur a l’impression d’entrer dans l’intimité de Roland Barthes. En effet, celui-ci aborde des sujets issus de son expérience personnelle. Dans le cas du premier entretien, c’est la publication des Fragments d’un discours amoureux qui suscite une discussion avec Philippe Roger portant sur l’amour ; or la genèse de ce texte n’est pas sans rapport avec le vécu de son auteur[2]. Pour le deuxième entretien, le sujet de l’amaigrissement est en lien avec le régime qu’il a lui-même entrepris, depuis plusieurs années, pour des raisons de santé. Quant à l’article publié dans Vogue Hommes, il est consacré au Palace, célèbre boîte de nuit parisienne que Roland Barthes fréquente personnellement.

Ainsi, la figure de l’intellectuel semble parfois s’effacer partiellement, dans les pages de ces magazines populaires, pour laisser apparaître des aspects plus intimes de sa personnalité. Or cette subjectivité de Roland Barthes s’affirme régulièrement à travers des figures littéraires. On étudiera successivement trois de ces figures littéraires (le narrateur d’À la recherche du temps perdu, le héros de La Montagne magique, et Werther) afin de voir comment elles permettent à Roland Barthes de construire sa propre figure subjective et de déployer une parole personnelle dans ces articles. Un premier exemple se trouve dans l’article « Au “Palace” ce soir », où le regard de Roland Barthes et celui du narrateur proustien se superposent métaphoriquement dans une allusion explicite à un passage du Côté de Guermantes :

Proust aurait-il aimé ? Je ne sais : il n’y a plus de duchesses. Pourtant, me penchant de haut sur le parterre du Palace agité de rayons colorés et de silhouettes dansantes, devinant autour de moi dans l’ombre des gradins et des loges découvertes tout un va-et-vient de jeunes corps affairés à je ne sais quels circuits, il me semblait retrouver, transposé à la moderne, quelque chose que j’avais lu dans Proust : cette soirée à l’Opéra, où la salle et les baignoires forment, sous l’œil passionné du jeune Narrateur, un milieu aquatique, doucement éclairé d’aigrettes, de regards, de pierreries, de visages, de gestes ébauchés comme ceux de déités marines, au milieu desquelles trônait la duchesse de Guermantes. Rien qu’une métaphore en somme, voyageant de loin dans ma mémoire et venant embellir le Palace d’un dernier charme : celui qui nous vient des fictions de la culture[3].

Dans les lignes de Roland Barthes comme dans le passage de Proust[4], auquel il semble même emprunter l’ampleur de ses phrases, la métaphore est suscitée par l’impression que produit l’observation d’un espace clos, régi par les règles d’une société mondaine. Ce sont ces règles, dans l’un et l’autre cas, que l’observateur entreprend de déchiffrer. Après avoir rappelé que le Palace était à l’origine un théâtre, Roland Barthes, en sémiologue, recourt à l’étymologie : « Théâtre : ce mot grec vient d’un verbe qui veut dire voir. Le Palace est bien un lieu dévoué à la vue : on passe son temps à regarder la salle ; et, lorsqu’on revient de danser, on regarde de nouveau. » (OC V [1978], p. 456). Ainsi, aux yeux de Roland Barthes, le Palace n’est pas simplement un lieu de distraction, mais un espace dont l’architecture et la décoration sont au cœur de pratiques sociales. À partir de cette analyse du Palace comme dispositif visuel, la mémoire littéraire de Roland Barthes ouvre un prolongement de ce lieu réel vers l’espace-temps fictionnel d’À la recherche du temps perdu, reproduisant le phénomène par lequel le narrateur proustien pénètre dans un « monde nouveau » en suivant dans la salle un homme qu’il suppose être le prince de Saxe allant rejoindre la duchesse de Guermantes :

Du moins en disant cette phrase au contrôleur il embranchait sur une vulgaire soirée de ma vie quotidienne un passage éventuel vers un monde nouveau ; le couloir qu’on lui désigna après avoir prononcé le mot de baignoire et dans lequel il s’engagea, était humide et lézardé et semblait conduire à des grottes marines, au royaume mythologique des nymphes des eaux. Je n’avais devant moi qu’un monsieur en habit qui s’éloignait ; mais je faisais jouer auprès de lui, comme avec un réflecteur maladroit, et sans réussir à l’appliquer exactement sur lui, l’idée qu’il était le prince de Saxe et allait voir la duchesse de Guermantes[5]

Au moment où le narrateur pénètre dans la salle de l’Opéra, ce n’est donc pas une illusion d’optique mais plutôt une disposition mentale qui fait surgir la vision d’un monde mythologique dont la duchesse de Guermantes serait la figure centrale. À l’instar du narrateur proustien, Roland Barthes se place temporairement à distance du monde réel pour « rêver » et mieux percevoir l’étrangeté du lieu dans lequel il est immergé :

Solitaire, ou du moins un peu à l’écart, je puis “rêver”. Dans cet espace humanisé, je puis m’écrier à un moment : “Comme tout ceci est étrange !” Étrange l’ancien rideau de scène, où je lis une publicité imagée de la French Line : Le Havre-Plymouth-New York (bizarre : dans cette chaîne de lieux, c’est Plymouth qui me fait rêver : peut-être le mythe romantique de l’escale ?). Étranges les danseurs sombres (par l’effet de la contre-lumière) dans le brouillard qui couvre par instants la piste, articulés comme des pantins sous un plafond de rayons verts et rouges. Étrange le miroir basculant. Étranges les fresques bistres, vaguement grecques, qui courent comme une sagesse un peu rétro le long de la frise.(OC V [1978], p. 457-458)

L’atmosphère « étrange » du Palace, où les silhouettes des danseurs s’estompent sous l’effet de l’éclairage intermittent et du brouillard artificiel, est créée par la superposition de plusieurs époques et de plusieurs lieux dans la perception qu’en a Roland Barthes, car la salle est à la fois ancienne (notamment par le style rétro des décorations « vaguement grecques ») et moderne :

Voilà peut-être pourquoi le Palace me séduit. Je m’y sens bien. C’est moderne, très moderne ? Et pourtant j’y retrouve le vieux pouvoir de la véritable architecture, qui est conjointement d’embellir les corps qui marchent, qui dansent, et d’animer les espaces et les édifices. (OC V [1978], p. 456)

La rêverie, très proustienne, sur les noms de lieux de la publicité pour la French Line accentue cet effet de brouillage spatial et souligne l’aspect fantasmatique de la description. En se référant à la salle de l’Opéra telle qu’elle apparaît « sous l’œil passionné du jeune Narrateur » (OC V [1978], p. 458), le sémiologue assume en effet pleinement une posture subjective dans laquelle la mémoire littéraire, par l’intermédiaire de la métaphore, participe de la pratique de déchiffrement du monde. C’est pourquoi le souvenir de la description proustienne apparaît, à propos du Palace, « transposé à la moderne » (ibid.). L’affirmation de ce regard subjectif permet donc d’intégrer les « fictions de la culture » (ibid.), c’est-à-dire la mémoire littéraire, à la parole de Roland Barthes telle qu’elle se déploie dans l’article de Vogue Homme.

Ce rapport étroit entre le « je » et ses doubles littéraires se manifeste dans d’autres textes de Roland Barthes, où le procédé ne caractérise pas seulement son regard, mais aussi la manière dont il parle de son corps. C’est le cas quand il mentionne les conséquences de la tuberculose sur sa propre morphologie dans l’entretien accordé à Laurent Dispot pour la page « Santé » de Playboy[6]. Le sémiologue ne fait aucune référence littéraire explicite dans ces lignes, mais elles font écho à la conclusion de la leçon inaugurale prononcée au Collège de France en 1977, dans laquelle il évoque sa maladie en parallèle avec celle de Hans Castorp, le personnage principal de La Montagne magique :

L’autre jour, j’ai relu le roman de Thomas Mann, La Montagne magique. Ce livre met en scène une maladie que j’ai bien connue, la tuberculose ; par la lecture, je tenais rassemblés dans ma conscience trois moments de cette maladie : le moment de l’anecdote, qui se passe avant la guerre de 1914, le moment de ma propre maladie, alentour 1942, et le moment actuel, où ce mal, vaincu par la chimiothérapie, n’a plus du tout le même visage qu’autrefois. Or, la tuberculose que j’ai vécue est, à très peu de chose près, la tuberculose de La Montagne magique : les deux moments se confondaient, également éloignés de mon propre présent. Je me suis alors aperçu avec stupéfaction (seules les évidences peuvent stupéfier) que mon propre corps était historique. En un sens, mon corps est contemporain de Hans Castorp, le héros de La Montagne magique ; mon corps, qui n’était pas encore né, avait déjà vingt ans en 1907, année où Hans pénétra et s’installa dans “le pays d’en haut”, mon corps est bien plus vieux que moi, comme si nous gardions toujours l’âge des peurs sociales auxquelles, par le hasard de la vie, nous avons touché[7].

L’expérience réelle et l’expérience fictionnelle de la maladie ne font qu’une dans l’univers barthésien : en se superposant sur le souvenir personnel, l’histoire d’un personnage de fiction peut exercer la même puissance mémorielle que si elle était réelle. Elle est alors insérée dans le même cadre chronologique : ce que Roland Barthes a de commun avec Hans Castorp, de son point de vue, c’est que tous deux ont vécu une tuberculose, située en 1907 pour l’un et en 1942 pour l’autre, et que ces deux souvenirs sont « rassemblés » dans la mémoire personnelle du sémiologue, au point que la perception qu’il a de son propre corps déborde de son expérience vécue pour intégrer celle d’un personnage de fiction. Cette mémoire à la fois personnelle et littéraire relie deux états anciens du moi que la lecture permet de réactiver dans le présent.

La manière dont Roland Barthes fait siennes des expériences fictionnelles, en intégrant ses lectures personnelles à la pratique de sa propre écriture, est au principe même des Fragments d’un discours amoureux, dont la parution en 1977 est au cœur de l’entretien avec Philippe Roger publié la même année dans Playboy[8]. Dans le livre, Roland Barthes mentionne à chaque page les nombreuses références (littéraires, philosophiques, musicales...) à partir desquelles il élabore son propre discours. En effet, celles-ci constituent la matière du texte, à égalité avec les données de l’expérience personnelle, comme l’auteur s’en explique dans les pages liminaires :

Pour composer ce sujet amoureux, on a “monté” des morceaux d’origine diverse. Il y a ce qui vient d’une lecture régulière, celle du Werther de Goethe. Il y a ce qui vient de lectures insistantes (Le Banquet de Platon, le Zen, la psychanalyse, certains Mystiques, Nietzsche, les lieder allemands). Il y a ce qui vient de lectures occasionnelles. Il y a ce qui vient de conversations d’amis. Il y a enfin ce qui vient de ma propre vie[9]

La construction du texte comme « montage » de matériaux empruntés à des sources diverses est visible dans la disposition typographique, qui donne une place importante à ces références culturelles ou affectives : les noms indiqués en marge du texte fonctionnent comme des appels de notes, et ponctuent comme des « rappels de lecture, d’écoute[10] » les paragraphes dans lesquels l’auteur explore étape par étape les différentes facettes du sentiment amoureux. Ainsi, pour retracer le discours d’un « je » amoureux s’adressant à « l’objet aimé », Roland Barthes articule des figures qui l’inspirent et nourrissent son imaginaire personnel d’amoureux et de lecteur. Il recourt de manière privilégiée à l’exemple de Werther, qui concentre de multiples modalités d’interaction entre le lecteur et le personnage de fiction :

Werther s’identifie au fou, au valet. Je puis, moi, lecteur, m’identifier à Werther. Historiquement, des milliers de sujets l’ont fait, souffrant, se suicidant, s’habillant, se parfumant, écrivant comme s’ils étaient Werther (ariettes, complaintes, bonbonnières, boucles de ceinture, éventails, eau de toilette à la Werther). Une longue chaîne d’équivalences lie tous les amoureux du monde[11]

Dans l’entretien avec Philippe Roger consécutif à la publication des Fragments d’un discours amoureux, la figure de Werther est donc également mentionnée comme une référence centrale du livre. Mais le ton de la conversation permet à l’intervieweur de revenir sur l’implication personnelle de Roland Barthes dans le sujet qu’il aborde, c’est-à-dire la figure de l’amoureux. Ainsi, à la question « Alors, cet amoureux qui parle, c’est bien vous, Roland Barthes ? », celui-ci répond qu’il entretient « un rapport personnel avec toutes les figures du livre », et affirme : « Le sujet que je suis n’est pas unifié. » (OC V [1977], p. 416-417). Lire cet entretien comme le prolongement des Fragments d’un discours amoureux permettrait de donner toute son importance à une telle affirmation : dans le livre comme dans les textes que nous avons cités, le « je » est démultiplié, et la parole subjective est un moyen de faire parler diverses figures, notamment littéraires, à travers une expérience personnelle.

Or cette démultiplication de la figure de Roland Barthes va de pair avec une fragmentation de son discours : les différents sujets abordés dans la presse masculine font en fait l’objet d’une véritable analyse mythologique si on les relie à d’autres articles et entretiens contemporains.



II. Fragments d’un nouveau discours mythologique.


Dans quelle mesure peut-on comprendre la parole de Roland Barthes, telle qu’elle se déploie dans ces numéros de Playboy (1977 et 1980) et de Vogue Hommes (1978), comme les fragments d’un nouveau discours sur le « mythe contemporain » ?

Dans ces deux magazines de presse populaire, les propos de l’intellectuel, énoncés à la première personne, contiennent des analyses sémiologiques qui puisent leur sujet dans la société des années 1970, et en particulier dans la « culture dite de masse », pour reprendre l’expression employée par Roland Barthes dans le texte liminaire ajouté en 1970 aux Mythologies[12].

Il est bien connu que la notion de « mythe contemporain » est d’abord explorée par Roland Barthes dans des textes portant sur la société contemporaine, publiés entre 1954 et 1956 dans Les Lettres nouvelles principalement, mais aussi dans Esprit et France-Observateur avant d’être regroupés sous le titre de Mythologies[13]. Ainsi, le support médiatique de l’analyse sémiologique de « quelques mythes de la vie quotidienne française », « au gré de l’actualité[14] », est à l’origine une presse périodique plutôt intellectuelle, à la différence des magazines Playboy et Vogue Hommes. C’est dans un deuxième temps que Roland Barthes établit une théorie du « mythe, aujourd’hui » dans le texte qui vient compléter ces études de cas lors de leur publication en recueil en 1957. Plus d’une décennie après, en introduction à la nouvelle édition des Mythologies en 1970, l’auteur revient sur les « deux gestes qui sont à l’origine de ce livre », à savoir « la critique idéologique » et « l’analyse sémiologique ». Il explique alors que ces textes anciens ne peuvent pas être corrigés ou récrits sous la même forme car la démarche même de l’étude du mythe contemporain doit désormais être réélaborée : « Je ne pourrais donc, dans leur forme passée (ici présente) écrire de nouvelles mythologies[15] ».

Ce constat trouve un écho et un développement dans un article publié dans Esprit, en 1971, sous le titre « La mythologie aujourd’hui » :

Quelque chose a-t-il changé ? Ce n’est pas la société française, du moins à ce niveau, car l’histoire mythique est d’une autre longueur que l’histoire politique ; ce ne sont pas non plus les mythes ni même l’analyse ; il y a toujours, abondant, du mythique dans notre société : également anonyme, retors, fragmenté, bavard, offert à la fois à une critique idéologique et à un démontage sémiologique. Non, ce qui a changé depuis quinze ans, c’est la science de la lecture, sous le regard de laquelle le mythe, tel un animal, depuis longtemps capturé et observé, devient cependant un autre objet[16]

Ainsi, il n’est plus seulement question, pour le sémiologue des années 1970, de faire apparaître les mythes de l’époque en analysant un système d’agencement des signes et ses enjeux idéologiques : « c’est le signe lui-même qu’il faut ébranler[17] ». Intégrant les acquis des sciences du langage à la redéfinition de sa démarche, Roland Barthes fixe une nouvelle tâche à la sémiologie qui serait « plutôt d’ordre syntaxique[18] », afin de voir « de quelles articulations, de quels déplacements est fait le tissu mythique d’une société de haute consommation[19] ». Si bien que, pour le sémiologue comme pour son lecteur, il s’agit de déchiffrer différents types de discours comme autant de modes de production de sens :

[…] plus donc que des mythes, ce sont aujourd’hui des idiolectes qu’il faut distinguer, décrire ; aux mythologies succéderait, plus formelle, et par là même, je crois, plus pénétrante, une idiolectologie, dont les concepts opératoires ne seraient plus le signe, le signifiant, le signifié et la connotation, mais la citation, la référence, le stéréotype[20].

C’est dans cette perspective que l’on relira à présent les entretiens de Playboy et l’article de Vogue Hommes : ces textes correspondraient, après la rectification théorique du début des années 1970, à l’une des formes que peut prendre « la nouvelle sémiologie – ou la nouvelle mythologie[21] ».

À la différence des revues dans lesquelles fut publié le corpus initial des Mythologies, les périodiques Playboy (paru entre 1973 et 2011 dans sa version française) et Vogue Hommes (publié depuis 1973) constituent pour Roland Barthes un nouveau support médiatique, le magazine masculin et populaire de consommation. Nous avons vu que le sémiologue y adoptait un discours plus personnel que dans ses publications savantes, notamment à travers l’emploi du pronom « je », caractéristique de la forme de l’entretien mais complété ici par la référence à des figures littéraires. Or ce dispositif n’est pas contradictoire avec la pratique de l’analyse sémiologique, puisque Roland Barthes est avant tout sollicité comme intellectuel.

Dans le cas de l’entretien avec Laurent Dispot, Roland Barthes est présenté à la fois comme un « philosophe » et comme une personne privée qui, elle aussi, est sensible au sujet des régimes alimentaires abordé dans cette page :

Tout le monde parle de “la forme”, mais qui en parle bien ? Tous les mois, dans cette rubrique, ceux qui l’ont ou l’ont redécouverte livreront leurs recettes, leurs trucs. Ce mois-ci, Roland Barthes, philosophe, qui comme vous et moi a des problèmes de ligne, parle de la “maigritude”[22]

Comme le souligne l’emploi du néologisme « maigritude », l’obsession de la minceur est un véritable sujet de société, qui se manifeste notamment par l’omniprésence de l’adjectif « maigre » ; c’est pourquoi Roland Barthes y répond par un autre néologisme, quelques lignes plus loin, quand il parle de « la mythologie du “maigrissement” » (OC V [1980], p. 938). Sollicité par un organe de presse grand public, Roland Barthes prend donc la parole comme intellectuel reconnu mais aussi comme simple individu, concerné à titre personnel par le sujet de l’amaigrissement[23]. Cette conjonction des deux facettes du « je » interrogé, celle de l’homme public et celle de l’homme privé, est d’ailleurs réaffirmée plus loin, comme si elle fondait sa légitimité à aborder cette question d’actualité : « Savez-vous de quoi j’ai parlé avec l’administrateur du Collège de France, lors de ma première visite de candidature ? Des statistiques américaines sur le pourcentage de réussite des régimes amaigrissants ! » (ibid., p. 939).

Le vocabulaire employé par Roland Barthes montre ce glissement de la discussion personnelle à l’analyse sémiologique : le régime Atkins est cité comme phénomène de mode, dont le succès américain est lié à une « idéologie » qui se traduit par un discours. C’est en reformulant ce discours que Roland Barthes en fait apparaître la dimension mythologique puisque, à la manière d’une fiction littéraire ou d’un poème épique, il fait entendre une véritable « description de l’âge d’or » au consommateur américain. Une autre analyse de Roland Barthes, en écho à celle-ci, fait apparaître encore plus explicitement le caractère mythique du discours sur le corps et de la prédilection pour la maigreur. Il s’agit d’un entretien de 1978, publié dans Critique en 1982, dans lequel il est question de l’obsession du corps jeune dans la société contemporaine :

Vous pouvez très bien le lire dans un mythe qui a aussi un substrat commercial très important, actuel : le mythe du corps mince. Le corps mince est assimilé à un corps jeune, la minceur est un signe garanti de jeunesse, d’où l’extraordinaire développement des techniques d’amaigrissement, l’extraordinaire préoccupation et obsession que représente dans le monde actuel le désir de maigrir, c’est-à-dire de maintenir son corps dans son état mythique de jeunesse : c’est en réalité le désir de l’immortaliser. Il y a tout un mythe de la cure d’amaigrissement qui saisit vraiment tout le monde, à la fois les hommes et les femmes, qui commence tôt, avant même qu’on ne vieillisse, et qui prouve que le corps moderne se veut massivement, collectivement, mythiquement un corps mince et un corps jeune[24].

En analysant ici les enjeux mythiques du corps moderne comme corps mince et jeune, Roland Barthes montre l’importance du culte de la maigreur comme représentation collective. Cette analyse savante, formulée sur un ton impersonnel et objectif, est en quelque sorte complémentaire de l’approche plus subjective du phénomène de l’amaigrissement et de son idéologie dans l’entretien pour Playboy. En ce sens, la parole qui se déploie, à la première personne, dans le magazine populaire peut être lue comme le fragment d’un discours sémiologique plus large : à partir des codes de communication propres à ce support médiatique, l’article fonctionne comme un extrait du « livre [qui serait] à faire sur tous ces problèmes de l’amaigrissement » (OC V [1980], p. 938).

Pour Vogue Hommes, Roland Barthes est invité à analyser une autre facette de la « culture dite de masse ». En effet, dans le chapeau de l’article consacré au Palace, il est encore une fois présenté comme « philosophe » mais aussi comme « professeur au Collège de France ». C’est bien une analyse sémiologique et presque sociologique de ce haut lieu de la nuit parisienne qui est attendue de la part de l’« auteur de Mythologies » :

“Le Palace” de Fabrice Emaer a donné un visage nouveau à la nuit parisienne. Dans cet immense théâtre 1925 où l’Etablishment [sic] danse avec l’Underground, les barrières sociales tombent tous les soirs, au milieu des éclairages lasers et de la musique disco. Le philosophe Roland Barthes, professeur au Collège de France et auteur de “Mythologies”, analyse, en exclusivité pour Vogue Hommes, ce phénomène social[25].

D’emblée, l’introduction de l’article insiste sur ce qui fait la singularité du Palace depuis sa rénovation, à savoir la coexistence de l’ancien (« immense théâtre 1925 ») et du moderne (« éclairages lasers » et « musique disco ») dans un même lieu atypique, à la fois mondain et ouvert à une certaine mixité puisque « les barrières sociales [y] tombent tous les soirs ». Cette thématique est développée à la page suivante, dans la légende des photographies qui présentent quelques célébrités fréquentant les fêtes du Palace :

Le Palace, c’est du jeudi au dimanche soir, le nouveau lieu de rendez-vous de la nuit parisienne. Mais la mode du moment est de le louer en totalité ou en partie pour “donner une fête”. On y retrouve ainsi pêle-mêle filles superbes ou “punks” décharnés, gens célèbres incognito ou inconnus qui cherchent à se faire remarquer[26].

Ce commentaire de la rédaction du magazine ne vise pas seulement à donner une idée de l’ambiance de la boîte de nuit, mais à présenter le Palace comme un lieu où se manifestent les tendances et où les contraires peuvent se rencontrer. En outre, en reprenant entre guillemets l’expression « donner une fête », le journaliste rend compte d’une pratique à la mode dont Roland Barthes livre, dans son article, une interprétation proprement sémiologique. En effet, en montrant comment les différents types de plaisirs se conjuguent dans cet espace, il déconstruit l’image stéréotypée de la boîte de nuit pour conclure à la singularité du Palace. Ce n’est pas seulement un lieu où l’on « donne une fête », mais un véritable temple de « la Fête » :

Le Palace n’est pas une “boîte” comme les autres : il rassemble dans un lieu original des plaisirs ordinairement dispersés : celui du théâtre comme édifice amoureusement préservé, jouissance de la vue ; l’excitation du Moderne, l’exploration de sensations visuelles neuves, dues à des techniques nouvelles ; la joie de la danse, le charme de rencontres possibles. Tout cela réuni fait quelque chose de très ancien, qu’on appelle la Fête, et qui est bien différent de la Distraction : tout un dispositif de sensations destiné à rendre des gens heureux, le temps d’une nuit. Le nouveau, c’est cette impression de synthèse, de totalité, de complexité : je suis dans un lieu qui se suffit à lui-même. C’est par ce supplément que le Palace n’est pas une simple entreprise, mais une œuvre et que ceux qui l’ont conçu peuvent se sentir à bon droit des artistes. (OC V [1978], p. 458)

Le public du Palace, à la fois spectateur et acteur, est désormais au centre de l’ancien théâtre. Si Roland Barthes définit ce lieu comme « une œuvre » en soi, c’est que le jeu moderne des lumières fait de la scène un espace où se réalise « un art total (vieux rêve grec et wagnérien), où se combinent les scintillations, les musiques et les désirs » :

Cela veut dire que l’« art », sans rompre avec la culture passée (la sculpture de l’espace au laser peut très bien rappeler des tentatives plastiques de la modernité), s’éploie hors des contraintes du dressage culturel : libération scellée par un nouveau mode de consommation : on regarde les lumières, les ombres, les décors, mais aussi on fait autre chose en même temps (on danse, on parle, on se regarde) : pratique connue du théâtre antique. (ibid., p. 457)

En prenant comme objet d’étude, dans l’article « Au “Palace” ce soir », un lieu dans lequel il a lui-même l’habitude de s’immerger, Roland Barthes analyse donc des pratiques, des usages, de nouvelles manières d’investir ce lieu. Ainsi, l’article de Vogue Hommes peut lui aussi être lu en relation avec d’autres articles dans lesquels le sémiologue aborde des sujets connexes en se référant aux pratiques observées au Palace.

L’entretien de 1978 que nous avons déjà cité, intitulé « Encore le corps », offre un premier exemple de cette complémentarité. C’est ici la « danse actuelle » qui est analysée par Roland Barthes comme pratique sociale manifestant un rapport paradoxal au corps. En effet, alors que « chacun, au fond, a l’air de danser pour soi[27] », cet effacement du corps va de pair avec une nouvelle forme de fusion de l’individu dans la collectivité :

En même temps – c’est là qu’il y a paradoxe –, la danse actuelle se collectivise, elle se grégarise, on pourrait dire qu’il y a une “danse-foule” : c’est la foule qui danse. Et dans cette “danse-foule” le sujet est à la fois complètement isolé en tant que sujet puisqu’il n’a plus de partenaire, il est perdu, dilué dans une sorte de nous massif, une “danse-nous”, un nous dansant qui rompt tout à fait avec les habitudes, d’ailleurs pas très anciennes, du “nous deux”. C’est un thème très nouveau. On est en train de toucher à travers ces rites, qui sont surtout ceux de la jeunesse, une modification de la subjectivité humaine, qu’on saisit d’ailleurs aussi – ce serait un autre sujet – dans des modifications de la syntaxe, ou même dans l’usage de la pop-music. Le sujet se défait comme individu, mais en même temps il accroît sa solitude. Voilà le paradoxe : il accroît sa solitude et il se perd dans une espèce de nous, de collectivité[28].

La musique à la mode se danse collectivement, et non à deux. Si le Palace n’est pas mentionné explicitement ici, il est l’un des lieux par excellence où se manifeste cette nouvelle pratique sociale : l’article de Vogue Hommes, publié la même année que l’enregistrement de cet entretien télévisé, fait allusion à cette masse collective et indistincte de danseurs quand il évoque « l’immense spectacle de la danse des lumières et des corps » (OC V [1978], p. 457).

Le même intérêt pour ces pratiques sociales et ce qu’elles impliquent ou révèlent sur la représentation du corps se retrouve dans un entretien avec Philip Brooks, publié dans Le Nouvel Observateur en 1980 sous le titre « La crise du désir ». Lorsque l’intervieweur mentionne le Palace, sa question, qui pourrait appeler une réponse plus personnelle de Roland Barthes, suscite une analyse du rôle de la mode dans les rapports entre individus :

On vous rencontre quelquefois, paraît-il, dans une boîte très parisienne appelée le Palace. Que pensez-vous d’un endroit comme celui-là ? […] Il y a une perte de désir dans les milieux où les interdits reculent. On peut imaginer qu’il serait très facile de voir deux garçons s’embrasser un samedi soir au Palace. Aucune censure n’interviendrait. Mais, précisément, cela ne se passe jamais. De nouveaux interdits se sont créés – je parle ici d’une classe relativement émancipée d’intellectuels, d’étudiants, de gens de l’art, du spectacle et de la mode ; si on descendait dans les classes sociales plus fixes, on trouverait des interdits très forts, s’exerçant à travers les mythes de la masculinité, de la virilité… – et ces nouveaux interdits peuvent venir de la mode. Je sais qu’un soir, aux Bains-Douches, deux hommes ont esquissé la danse d’aujourd’hui, c’est-à-dire une danse assez distante, et qu’une fille leur a dit : “Oh ! là, là ; ça ne se fait plus.” Donc elle n’a pas du tout protesté parce que c’était deux garçons ensemble mais parce que ça ne se fait plus, ce n’est plus la mode[29] !

Le microcosme de la boîte de nuit offre à Roland Barthes la possibilité d’observer les comportements d’une classe sociale : dans ce milieu, la mode influence la manière dont le désir se manifeste publiquement ou non. Écrire sur le public du Palace, c’est donc aussi analyser la place du désir dans la société contemporaine. Or il apparaît que le phénomène de la mode s’oppose, par son changement incessant, au rythme du mythe qui « a besoin de s’installer, de devenir pesant, de prendre ses traditions[30] ». C’est pourquoi des mythes traditionnels comme celui de la masculinité ou de la virilité ne sont pas nécessairement ceux qui prédominent dans un endroit « à la mode » : la remarque de la jeune fille, à la fin de la citation, montre que le type même de « danse actuelle » qui avait été analysé par Roland Barthes dans l’entretien de 1978 peut déjà, en 1980, faire l’objet d’un nouvel interdit, celui qui vient de la mode.

Ainsi, les différents textes que nous avons cités, presque contemporains les uns des autres, se répondent et se complètent : le Palace, comme objet d’étude, est un lieu où s’élabore l’analyse sémiologique parce que de nouvelles modes s’y donnent à voir et que, plus encore que le mythe, « la mode est lieu d’observation privilégié pour voir fonctionner le social[31] ».

La parole de Roland Barthes se déploie donc, à partir d’un tel sujet, de manière fragmentaire à travers différents médias. Dans cette perspective, même les propos dans lesquels Roland Barthes adopte un point de vue subjectif, en parlant de son expérience personnelle à la première personne, constituent les bribes d’un discours plus large : la nouvelle analyse mythologique, pour pouvoir saisir les mutations de la mode et ce qu’elle dit du fonctionnement de la société, semble devoir s’adapter elle-même aux formes médiatiques dans lesquelles elle s’intègre, puisque le sémiologue répond aux questions de l’intervieweur (dans l’entretien du Nouvel Observateur), à la thématique d’une émission (comme celle qui est enregistrée pour Antenne 2 en 1978, intitulée « Ce corps que l’on habite ») ou à la sollicitation d’une rédaction (dans le cas de l’article de Vogue Hommes).

Mais le phénomène social de la mode est d’autant plus déterminant, pour Roland Barthes à la fin des années 1970, qu’il en vient à caractériser son œuvre elle-même dans la presse grand public. C’est ce qui est affirmé en introduction de l’entretien avec Philippe Roger : tout en rappelant que « Roland Barthes n’aime pas qu’on fasse de lui un “gourou”, comme c’est la mode », la rédaction de Playboy invoque un « phénomène Barthes » pour présenter et justifier l’entretien à l’occasion de la parution des Fragments d’un discours amoureux :

À peine élu au Collège de France, Roland Barthes récidive. Son nouveau scandale ? Le voilà qui parle d’amour. Et en un temps où c’est la sexualité (voire la pornographie) qui fait recette, tout le monde se jette sur son livre, Fragments d’un discours amoureux. Roland Barthes, qui a aussi écrit un Système de la mode, pourrait bien être un de ceux qui aujourd’hui la font – la mode de demain, évidemment ! À Philippe Roger, chercheur et critique, spécialiste du libertinage, qui a publié récemment un Sade : la Philosophie dans le pressoir, nous avons demandé d’interroger, pour les lecteurs de Playboy, Roland Barthes sur l’amour. (OC V [1977], p. 405)

Ici encore, le statut d’autorité de Roland Barthes est manifeste : c’est une figure intellectuelle de premier ordre, comme le rappelle le chapeau en mentionnant son titre de professeur au Collège de France, mais aussi une personnalité médiatique atypique, et donc un possible précurseur ou lanceur de « la mode de demain ». Ainsi, l’entretien est d’emblée placé dans la perspective de la question de la mode : le sujet du livre, l’amour, pourrait sembler « démodé », et même léger, en contraste avec le statut académique de son auteur. D’ailleurs, Roland Barthes lui-même avoue que « parler de “l’amour”, comme ça, ça ne fait pas sérieux » (ibid.).

Pour le lecteur de Playboy, ce paradoxe définit un horizon d’attente : c’est déjà une incitation à recevoir la parole de Roland Barthes comme une analyse sémiologique de l’amour, ainsi que le suggère le sous-titre qui figure sur la première page de l’interview : « Le plus grand décrypteur de mythes de ce temps nous parle d’amour[32] ».

Et de fait, après avoir décrit la figure de l’amoureux et montré sa « marginalité », c’est bien le mythe de « l’histoire d’amour » que décrypte Roland Barthes vers la fin de l’entretien. Il cherche ainsi à déconstruire le discours médiatique dominant dans la « culture de masse » pour en montrer les enjeux idéologiques :

Mais, vous le dites vous-même : un soir sur deux, à la télévision, il se dit “je t’aime”. Il y a donc une “promotion” de l’amour par les médias. Comment se peut-il que la culture de masse diffuse “de l’amour”, si c’est asocial et dangereux ? C’est une question plus difficile. En effet : pourquoi la culture de masse étale-t-elle tellement les problèmes du sujet amoureux ? En réalité, ce qu’elle met en scène, ce sont des récits, des épisodes, pas le sentiment amoureux lui-même. C’est peut-être une distinction un peu subtile, mais j’y tiens beaucoup. Cela veut dire que, si vous mettez le sujet amoureux dans une “histoire d’amour”, par là même, vous le réconciliez avec la société. Pourquoi ? Parce que raconter, cela fait partie des grandes contraintes sociales, des activités codées par la société. Par l’histoire d’amour, la société apprivoise l’amoureux. (OC V [1977], p. 415)

Si la « culture de masse » est en quelque sorte une machine à traiter « les problèmes du sujet amoureux » en fabriquant des histoires d’amour formatées, alors la tâche du nouveau sémiologue est de déconstruire ce système de narration (nous dirions aujourd’hui de storytelling) au moyen duquel la société « apprivoise l’amoureux ». L’écriture de Roland Barthes ne peut donc, sur ce sujet, adopter l’une des formes narratives qui correspondraient aux « activités codées par la société », comme celle du roman. C’est en ce sens que les Fragments d’un discours amoureux tentent d’aborder « le sentiment amoureux lui-même », et non « une histoire d’amour », en refusant une forme figée préétablie :

Et c’est d’ailleurs pourquoi j’ai pris des précautions draconiennes pour que mon livre ne soit pas une “histoire d’amour”. Pour laisser l’amoureux dans sa nudité ; dans sa situation d’être inaccessible aux formes habituelles de récupération sociale : en particulier, le roman.(ibid.)

Par son emploi très personnel de la forme fragmentaire, Roland Barthes libère l’écriture de l’amour et sort du cadre de la mode. C’est ce qui lui permet d’assumer le caractère « démodé » de son sujet, en échappant aux contraintes formelles qu’implique son statut social d’intellectuel :

L’amour est démodé dans les milieux intellectuels. Du point de vue de “l’intelligentsia”, de ce milieu intellectuel qui est le mien, dans lequel je vis, dont je me nourris… et que j’aime, j’ai eu le sentiment de faire un acte d’écriture assez démodé.(ibid., p. 406)

Le fait de revendiquer un objet d’étude démodé est aussi un moyen, pour Roland Barthes, d’inventer une forme d’écriture qui lui permette de se démarquer du mouvement de la mode. Ainsi, il ne peut être réduit, par la forme, le contenu et les médiums de son discours, au milieu social et culturel auquel il appartient.

L’étude d’un corpus restreint, constitué d’articles et d’entretiens publiés dans la presse masculine, montre que ces textes constituent les fragments dispersés d’un nouveau discours mythologique : ils font systématiquement écho à un corpus plus large, constitué d’autres textes de formes diverses (qu’il s’agisse d’articles ou d’entretiens publiés dans la presse populaire ou dans des revues plus savantes, ou encore d’ouvrages comme les Fragments d’un discours amoureux), qui traitent partiellement de sujets voisins relevant des mêmes phénomènes sociaux. La lecture croisée de ces textes fait donc apparaître le paradoxe de la parole de Roland Barthes comme figure médiatique, une parole singulière qui oscille entre ton personnel et pratique analytique. En effet, cette parole cherche à se soustraire, par sa singularité, aux phénomènes de mode dont elle étudie la dynamique tout en s’intégrant, précisément, aux supports médiatiques typiques de la culture de masse. C’est ce double mouvement que nous allons tenter à présent de saisir en nous intéressant à la présentation matérielle des articles de Playboy et Vogue Hommes afin de voir comment les propos de Roland Barthes trouvent leur place dans les mass-médias.



III. La mise en page de la parole de Roland Barthes : une relecture sémiologique.


La question du rapport entre écriture intellectuelle et littérature préoccupe Roland Barthes dès le début de sa carrière et la publication du Degré zéro de l’écriture en 1953, quand il décrit l’intellectuel comme « un type nouveau de scripteur, situé à mi-chemin entre le militant et l’écrivain, tirant du premier une image idéale de l’homme engagé, et du second l’idée que l’œuvre écrite est un acte[33] ». Tout en repérant l’apparition d’une « écriture militante entièrement affranchie du style » dans laquelle le langage « tend à devenir le signe suffisant de l’engagement », il souligne la prégnance du modèle littéraire dans l’écriture intellectuelle :

L’intellectuel n’est encore qu’un écrivain mal transformé, et à moins de se saborder et de devenir à jamais un militant qui n’écrit plus […], il ne peut que revenir à la fascination d’écritures antérieures, transmises à partir de la Littérature comme un instrument intact et démodé. Ces écritures intellectuelles sont donc instables, elles restent littéraires dans la mesure où elles sont impuissantes et ne sont politiques que par leur hantise de l’engagement[34].

La même préoccupation se retrouve à plusieurs reprises dans les écrits postérieurs de Roland Barthes, et notamment au début de l’entretien publié en 1980 dans Le Nouvel Observateur auquel nous avons déjà fait référence[35]. Lorsque Philip Brooks lui demande ce que signifie « être un intellectuel en France aujourd’hui », Roland Barthes insiste sur la fin du modèle traditionnel de l’intellectuel qui était en même temps un grand écrivain : « Au lieu d’une relève des grands écrivains, on a pu remarquer l’apparition massive des intellectuels, c’est-à-dire des professeurs[36]». Plus encore qu’en 1953 se pose la question d’une écriture intellectuelle et de son rapport à la littérature :

Et ce qui est menaçant, c’est le développement considérable de médias comme la télévision, la presse, la radio, qui véhiculent des attitudes anti-intellectuelles. En effet, si la France devient un pays petit-bourgeois, les intellectuels perdront de plus en plus leur identité. Ils seront obligés soit de se réfugier dans une clandestinité de presse, comme les poètes aujourd’hui, soit de se poser en tant qu’intellectuels à l’intérieur même de médias – ce qui est en partie la démarche de ceux que l’on appelle les “nouveaux philosophes”, des intellectuels qui se sont dit : “On ne va pas se laisser manipuler tout le temps par les médias ; on va y pénétrer en employant les mêmes procédés qu’eux, en modifiant notre langage pour qu’il soit plus compréhensible à un plus grand nombre.” Personnellement, je n’attaque pas cette position, que je trouve parfaitement défendable[37].

Face à cette menace d’une perte d’identité des intellectuels dans la nouvelle société française, Roland Barthes n’est pas opposé à l’idée de « pénétrer » le monde des médias. Alors que l’analyse du Degré zéro de l’écriture concluait en 1953 à une « impasse » de l’écriture intellectuelle (et de l’écriture politique), elle ouvre ici la possibilité d’une adaptation des pratiques d’écriture à un nouveau paysage médiatique. Bien que Roland Barthes ne déclare pas non plus adhérer pleinement à la stratégie des « nouveaux philosophes », il estime nécessaire pour les intellectuels de « se poser en tant qu’intellectuels à l’intérieur même des médias ». C’est sans doute dans cette perspective que l’on peut lire, rétrospectivement, le déploiement de la parole du sémiologue[38] dans une presse grand public comme les magazines Playboy et Vogue Hommes. En effet, s’il semble exagéré de considérer que Roland Barthes « modifi[e] [son] langage pour qu’il soit plus compréhensible à un plus grand nombre », du moins accepte-t-il d’insérer son discours dans un format typique de ce support médiatique, puisqu’il s’agit à chaque fois d’une rubrique parmi d’autres. C’est pourquoi une lecture sémiologique des propos de Roland Barthes dans la presse masculine doit prendre en compte la maquette de chaque magazine dans son ensemble, bien qu’elle ne soit pas de son fait.

Dans les trois numéros mentionnés (Playboy en 1977 et 1980, Vogue Hommes en 1978), l’article s’ouvre sur un portrait photographique de Roland Barthes, ce qui implique un double effet de présence de l’intellectuel dans le magazine, à la fois par l’image et par le texte. Dans l’exemple de Vogue Hommes, Roland Barthes pose à l’intérieur du Palace, le sujet même de son article : c’est la première des nombreuses photographies de célébrités qui illustrent le texte, placée sous le titre et le chapeau, à côté de son nom. Pour l’entretien publié dans la rubrique « santé » du numéro de Playboy en 1980, le portrait de Roland Barthes, en gros plan et de face, est placé au-dessus de la photographie d’un verre de vin rouge. Entre les deux images figure une citation de l’entretien, tronquée et reprise en gros caractères : « Je suis obligé de compenser mes repas au restaurant… chez moi », ce qui suggère que le verre de vin renvoie au mode d’alimentation peu diététique des repas au restaurant. Mais pour le lecteur des Mythologies la photographie du verre de vin rappelle aussi l’article sur « Le vin et le lait[39] », qu’il s’agisse d’un clin d’œil volontaire de la rédaction du magazine ou que ce rapprochement soit fortuit. Dans tous les cas, la photographie suffit à convoquer les connotations implicites de cette « boisson-totem », telles qu’elles sont décrites dans cette analyse de la « mythologie du vin ». La mise en page souligne aussi son importance dans un entretien portant sur la symbolique du régime alimentaire. Enfin, en bas de la première page de l’interview parue dans Playboy en 1977, les trois photographies de Roland Barthes, prises sous trois angles différents avec ou sans cigarette, en donnent une image peu éloignée du cliché de l’intellectuel de cette époque. Mais elles ont également une autre fonction, qui est de servir de supports à trois citations extraites de l’entretien qui figurent sous les photographies. Ainsi, ce dispositif visuel rattache symboliquement les propos rapportés à une mise en scène fictive, censée correspondre au moment de l’interview, comme pour en confirmer l’authenticité et en souligner le caractère spontané, sur le mode de la conversation.

Un autre trait particulier caractérise l’insertion de cet entretien dans les pages de Playboy : conformément aux usages du magazine, il est divisé en quatre parties disposées tout au long du numéro. Ainsi, entre les pages où figure la transcription de l’interview (p. 19-20, p. 40, p. 68 et p. 98), le lecteur parcourt les autres rubriques du magazine. Si bien que le discours de Roland Barthes sur la figure de l’amoureux se déploie pour ainsi dire par bribes, entrecoupé de photographies de nus qui font la renommée de Playboy, de publicités, de dessins érotiques humoristiques, d’articles de mode, de nouvelles, d’autres entretiens, etc. La parole du sémiologue voisine donc avec des images et des textes très divers, emblématiques de la culture de masse à laquelle appartient cette presse. L’exemple le plus frappant est celui du « steak yankee » : le deuxième extrait de l’entretien de Roland Barthes, p. 40, suit immédiatement une double page en couleurs, p. 38-39, sur laquelle s’étale la photographie d’une grosse tranche de bœuf à laquelle on a donné la forme des États-Unis. Il s’agit du début d’un article intitulé « Au vrai steak yankee », signé Emanuel Greenberg pour la rubrique « Loisirs » du magazine. Ainsi, la photographie incarne pleinement la mythologie du steak américain. Or cet article, en abordant la définition américaine du steak (« Par steak, les Américains entendent une pièce de bœuf qui peut être cuite rapidement par chaleur sèche ») et sa dimension culturelle, ne manquera pas de rappeler au lecteur des Mythologies l’article sur « Le bifteck et les frites » :

Comme le vin, le bifteck est, en France, élément de base, nationalisé plus encore que socialisé ; il figure dans tous les décors de la vie alimentaire : plat, bordé de jaune, semelloïde, dans les restaurants bon marché ; épais, juteux, dans les bistrots spécialisés ; cubique, le cœur tout humecté sous une légère croûte carbonisée, dans la haute cuisine ; il participe à tous les rythmes, au confortable repas bourgeois, et au casse-croûte bohème du célibataire ; c’est la nourriture à la fois expéditive et dense, il accomplit le meilleur rapport possible entre l’économie et l’efficacité, la mythologie et la plasticité de sa consommation. De plus, c’est un bien français (circonscrit, il est vrai, aujourd’hui par l’invasion des steaks américains). Comme pour le vin, pas de contrainte alimentaire qui ne fasse rêver le Français de bifteck. À peine à l’étranger, la nostalgie s’en déclare, le bifteck est ici paré d’une vertu supplémentaire d’élégance, car dans la complication apparente des cuisines exotiques, c’est une nourriture qui joint, pense-t-on, la succulence à la simplicité[40].

En énumérant différentes façons de servir le bifteck, de la cuisine la plus simple à la haute gastronomie, Roland Barthes analyse le caractère central de ce plat dans l’imaginaire national. Il montre en quoi le bifteck est perçu comme typiquement français, et ce malgré « l’invasion des steaks américains ». Or c’est bien cette invasion culinaire américaine qui semble indirectement illustrée par la maquette du numéro de Playboy de 1977 : non seulement l’article d’Emanuel Greenberg présente les Américains comme la référence dans ce domaine (« Si nous avons les pigeons innocents à la cuiller, le steak reste l’affaire des Américains ») mais en plus il se poursuit à la page 98, sur laquelle figure aussi la fin de l’entretien de Philippe Roger avec Roland Barthes. Cette page est en effet partagée entre les recettes de steak à l’américaine, sur deux colonnes, et la dernière partie de l’interview, sur une colonne seulement.

Certes, le sémiologue n’est évidemment pas responsable de la mise en page de l’entretien, et rien ne prouve que ces interactions avec les anciens objets de ses analyses mythologiques soient des choix délibérés de la rédaction du magazine. De plus, comme nous l’avons vu, il n’est plus question pour Roland Barthes, dans les années 1970, de circonscrire son étude à des objets bien définis dans l’imaginaire collectif comme il le faisait dans les années 1950 à propos du vin ou du bifteck. Mais le fait même d’intégrer la parole du sémiologue à un tel médium, qui se fait l’écho des tendances de la consommation et de la culture de masse, rend possible ce genre de rapprochements, fussent-ils fortuits. La maquette du magazine, par les interférences qu’elle crée entre différents types de paroles et d’images, influe sur la pratique même de la lecture. Autrement dit, si Roland Barthes insère sa parole dans ce support médiatique sans en faire un objet d’étude, la mise en page invite le lecteur, désormais, à produire sa propre analyse sémiologique et à opérer des rapprochements avec d’autres textes.

En effet, un seul extrait de l’interview de 1977 fait explicitement référence au support de la publication, le magazine Playboy : lorsque Roland Barthes affirme que l’on n’est jamais amoureux « que d’une image », Philippe Roger s’interroge sur la possibilité que cet amour se porte sur une image objectivée, comme « une photographie de Playboy » (OC V [1977], p. 408). Mais le sémiologue, dans sa réponse, commence par distinguer nettement ce type de photographies de l’image susceptible de provoquer le coup de foudre : « La question se pose. Mais je dirai non, quand même. Car l’image qui nous ravit, c’est une image vivante, une image en action », avant de nuancer : « Un être peut tomber éperdument amoureux d’une photo. Mais, en général, le mécanisme du coup de foudre ne se déclenche pas sur une image privée de tout contexte : il faut qu’elle soit “en situation” » (ibid.). Les photographies érotiques de Playboy ne sont donc pas, ici, l’objet de l’analyse, et Roland Barthes ne saisit pas l’occasion que lui donne Philippe Roger de les commenter. Mais cette citation montre l’intérêt du sémiologue pour le rôle de l’image dans les représentations personnelles et collectives du corps et des sentiments. Ainsi, la question de la circulation de l’image photographique du corps est notamment abordée dans l’entretien « Encore le corps » de 1978 :

Aujourd’hui, par l’avènement de la photographie, la reproductibilité infinie de l’effigie change toute la conscience collective que nous avons de notre corps et, en particulier, réintroduit, dans notre rapport à notre corps et au corps de l’autre, un narcissisme et donc un érotisme. […] La publicité, qui utilise beaucoup de photographies de corps humains, est un extraordinaire médium, un moyen de diffusion et par conséquent d’élaboration d’un nouveau corps humain, qui est un corps véritablement glorieux, toujours un corps jeune. […] Ce qui fait que le corps humain est vraiment offert maintenant à une sorte de consommation à la fois érotique – d’un érotisme diffus bien entendu, il n’est pas immoral, il ne va pas contre la loi, mais c’est tout de même un érotisme –, et à une sorte de rêve d’immortalité. Le corps que nous voyons dans la publicité ne nous apparaît jamais comme un corps destiné à mourir. C’est bien ce qu’on pourrait appeler un corps glorieux[41].

Il n’est pas question, ici non plus, de photographies proprement érotiques comme celles qui sont publiées dans Playboy, mais d’un érotisme plus large, inhérent à la place importante prise par l’image du corps humain dans la publicité, et donc à sa dimension mythologique dans la société de consommation. Si « le corps humain est vraiment offert maintenant à une sorte de consommation », alors le discours sémiologique trouve naturellement sa place dans les mass-médias, vecteurs de ces transformations. Dans la presse masculine, les représentations du corps sont autant portées par les publicités que par les articles de mode, la rubrique santé ou, dans le cas de Playboy, les photographies érotiques, de sorte que la parole du sémiologue n’est qu’un discours parmi d’autres, intégré au flux de textes et d’images qui caractérise la nouvelle culture de masse.

Ainsi, en soulignant le rôle central dévolu à l’image dans la société contemporaine, Roland Barthes met en évidence la nécessité, pour l’intellectuel, de ne pas se limiter aux modes de communication traditionnels et de pénétrer cette culture médiatique afin d’en étudier les discours structurants : le sémiologue ne peut rester en retrait, ni adopter la même position de surplomb que le mythologue des années 1950. Dans cette perspective, le déploiement de la parole de Roland Barthes dans la presse grand public, et notamment dans la presse masculine, répondrait à un double enjeu : il permettrait de mettre en pratique une nouvelle analyse mythologique des discours, mais aussi de donner à la parole de l’intellectuel une place dans cette culture de masse dont elle entend décrire le fonctionnement. Ce serait alors une manière, comme le suggère une autre citation de l’entretien avec Philip Brooks, de garantir son efficacité politique et sa fonction pratique dans la société :

Moi, je pose toujours les problèmes en termes de langage. C’est ma propre limite. L’intellectuel ne peut pas attaquer directement les pouvoirs en place mais il peut injecter des styles de discours nouveaux pour faire bouger les choses[42].

Plan



Résumé

Les textes publiés dans la presse masculine (deux entretiens dans Playboy, en 1977 et 1980, et un article dans Vogue Hommes en 1978) sont le point de départ de cet article, puisqu’ils permettent de s’interroger sur la parole atypique de Roland Barthes, celle d’un intellectuel reconnu qui adopte un ton personnel pour aborder des sujets de société dans les pages de magazines populaires. À partir de ce corpus restreint, l’analyse est élargie à d’autres écrits (entretiens et articles) publiés à la même époque dans différents médias, qui abordent des sujets voisins et se prêtent à être relus à la lumière des Mythologies. Ainsi, on se propose de voir dans ces deux corpus l’élaboration d’un nouveau discours fragmentaire sur le « mythe contemporain » dans les années 1970, en même temps que l’appropriation par Roland Barthes d’un support médiatique au moyen duquel la parole du sémiologue pénètre et intègre la culture de masse.


Bibliographie

[1]Jacques Mousseau, Cinq dollars pour un empire : le phénomène « Playboy », Paris, Denoël, 1970, p. 22. Il s’agit de la version publiée d’une thèse de doctorat en sociologie soutenue en Sorbonne en 1969.

[2]Voir Marie Gil, Roland Barthes. Au lieu de la vie, Paris Flammarion, 2012, p. 440 : « Les Fragments sont un portrait d’inspiration autobiographique de l’amoureux “qui parle et qui dit”. Sur le plan biographique, ces fragments sont nés d’une crise amoureuse réelle avec un homme réel, Roland Havas, ce même R. H. qui apparaît dans la marge du fragment “Atopos” cité à titre d’exemple, évoqué deux fois dans le Journal de deuil, qui le définit comme origine directe de l’écriture du livre […]. »

[3]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Au “Palace ce soir” », 1978], p. 458. Toutes les références à cet article seront désormais notées sous la forme « OC V [1978] », entre parenthèses, dans le corps du texte.

[4]La description de la salle et du public sous l’aspect d’un monde de divinités aquatiques ouvre la scène de la soirée à l’Opéra : voir Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1988 [1920-1921], p. 32-35.

[5]Ibid., p. 32.

[6]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1980], p. 938-940. Toutes les références à cet entretien seront désormais notées sous la forme « OC V [1980] », entre parenthèses, dans le corps du texte.

[7]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [Leçon, 1978], p. 445-446.

[8]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1977], p. 405-417. Toutes les références à cet entretien seront désormais notées sous la forme « OC V [1977] », entre parenthèses, dans le corps du texte.

[9]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [Fragments d’un discours amoureux, 1977], p. 33.


[10]Ibid.


[11]Ibid., p. 169.

[12]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [Mythologies suivi de Le Mythe, aujourd’hui, 1957], p. 673.

[13]Ibid., p. 675.


[14]Ibid.


[15]Ibid., p. 673.


[16]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« La mythologie aujourd’hui », 1971], p. 874.


[17]Ibid.


[18]Ibid.


[19]Ibid>., p. 874-875.


[20]Ibid., p. 875.


[21]Ibid., p. 874.


[22]Playboy, mars 1980, p. 12. Nous citons ici la pagination originale de Playboy car cette introduction n’est pas transcrite dans les Œuvres complètes.

[23]Dès 1975, dans Roland Barthes par Roland Barthesem>, le commentaire d’une photographie de jeunesse mentionne son obsession personnelle de la maigreur en la reliant à un « imaginaire d’intellectuel ». Une autre photographie, quelques pages plus loin, évoque son séjour en sanatorium. Voir Roland Barthes, Œuvres complètesem>, tome IV [Roland Barthes par Roland Barthesem>, 1975], p. 610 et 615.

[24]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Encore le corps », 1982], p. 568. Comme le précise Éric Marty dans son édition (ibid., p. 569), il s’agit de la transcription d’un « entretien télévisé avec Teri Wehn Damisch pour l’émission Zig-Zag, “Ce corps que l’on habite”, réalisée par Yves Kovacs pour Antenne 2, enregistrée en septembre 1978 et diffusée le 13 octobre 1978 (texte établi par Antoine Compagnon) ».

[25]Vogue Hommes, n° 10, mai 1978, p. 88. Ici encore nous indiquons, pour cette citation ainsi que pour la suivante, la pagination originale de Vogue Hommes car cette introduction n’est pas transcrite dans les Œuvres complètes.

[26]Ibid., p. 89.


[27]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Encore le corps », 1982], p. 566.


[28]Ibid., p. 566-567.

[29]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« La crise du désir », 1980], p. 942-943.


[30]Ibid., p. 942.


[31]Ibid.

[32]Playboy, septembre 1977, p. 19. Ce sous-titre n’est pas transcrit non plus dans les Œuvres complètes.

[33]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [Le Degré zéro de l’écriture, 1953], p. 187.

[34]Ibid., p. 187-188.

[35]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« La crise du désir », 1980], p. 941-945.


[36]Ibid., p. 941.


[37]Ibid.

[38]Dans toute cette partie, nous entendons, par sémiologie, la nouvelle forme que Roland Barthes donne à sa pratique après la mise au point du début des années 1970 et l’appel à une « nouvelle sémiologie » déjà mentionné plus haut. Voir Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« La mythologie aujourd’hui », 1971], p. 874.

[39]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [Mythologies suivi de Le Mythe, aujourd’hui, 1957], p. 727-730.

[40]Ibid., p. 731.


[41]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Encore le corps », 1982], p. 565.

[42]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« La crise du désir », 1980], p. 942.


Auteur

Suk-Hee JOO est docteure de l’Université Paris Diderot - Paris VII, où elle a soutenu en 2013 une thèse intitulée « Marguerite Duras : la voix, le cri, l’écriture » sous la direction de Francis Marmande. Membre de l’équipe CERILAC (axe « Pensée et Création contemporaines » dirigé par Éric Marty), elle s’intéresse particulièrement à la manière dont Marguerite Duras déploie dans son œuvre une « écriture de la mémoire » à travers les notions de performance et de voix, et a publié plusieurs études à ce sujet dans les Actes de colloques internationaux. Sa publication la plus récente porte sur les interviews réalisées par Marguerite Duras pour la presse féminine (« Les articles de Marguerite Duras dans Vogue : la voix des femmes à travers une écriture hybride », article paru dans Hélène Barthelmebs-Raguin et Greta Komur-Thilloy (dir.), Médias au féminin : de nouveaux formats, Paris, éditions Orizons, 2016, p. 53-64).

Pour citer cet article

Suk-Hee Joo, « La parole de Roland Barthes dans la presse masculine : de la figure subjective au "mythe contemporain" »  », in Jacqueline Guittard & Magali Nachtergael (dir.), Revue Roland Barthes, nº 3, mars 2017 [en ligne]. URL : http://www.roland-barthes.org/article_joo.html [Site consulté le DATE].


1 Jacques Mousseau, Cinq dollars pour un empire : le phénomène « Playboy », Paris, Denoël, 1970, p. 22. Il s’agit de la version publiée d’une thèse de doctorat en sociologie soutenue en Sorbonne en 1969.

2 Voir Marie Gil, Roland Barthes. Au lieu de la vie, Paris Flammarion, 2012, p. 440 : « Les Fragments sont un portrait d’inspiration autobiographique de l’amoureux “qui parle et qui dit”. Sur le plan biographique, ces fragments sont nés d’une crise amoureuse réelle avec un homme réel, Roland Havas, ce même R. H. qui apparaît dans la marge du fragment “Atopos” cité à titre d’exemple, évoqué deux fois dans le Journal de deuil, qui le définit comme origine directe de l’écriture du livre […]. »

3 Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Au “Palace ce soir” », 1978], p. 458. Toutes les références à cet article seront désormais notées sous la forme « OC V [1978] », entre parenthèses, dans le corps du texte.

4 La description de la salle et du public sous l’aspect d’un monde de divinités aquatiques ouvre la scène de la soirée à l’Opéra : voir Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1988 [1920-1921], p. 32-35.

5 Ibid., p. 32.

6 Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1980], p. 938-940. Toutes les références à cet entretien seront désormais notées sous la forme « OC V [1980] », entre parenthèses, dans le corps du texte.

7 Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [Leçon, 1978], p. 445-446.

8 Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1977], p. 405-417. Toutes les références à cet entretien seront désormais notées sous la forme « OC V [1977] », entre parenthèses, dans le corps du texte.

9 Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [Fragments d’un discours amoureux , 1977], p. 33.

10 Ibid.

11 Ibid., p. 169.

12 Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [Mythologies suivi de Le Mythe, aujourd’hui, 1957], p. 673.

13 Ibid., p. 675.

14 Ibid.

15 Ibid., p. 673.

16 Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« La mythologie aujourd’hui », 1971], p. 874.

17 Ibid.

18 Ibid.

19 Ibid>., p. 874-875.

20 Ibid., p. 875.

21 Ibid., p. 874.

22 Playboy, mars 1980, p. 12. Nous citons ici la pagination originale de Playboy car cette introduction n’est pas transcrite dans les Œuvres complètes.

23 Dès 1975, dans Roland Barthes par Roland Barthesem>, le commentaire d’une photographie de jeunesse mentionne son obsession personnelle de la maigreur en la reliant à un « imaginaire d’intellectuel ». Une autre photographie, quelques pages plus loin, évoque son séjour en sanatorium. Voir Roland Barthes, Œuvres complètesem>, tome IV [Roland Barthes par Roland Barthesem>, 1975], p. 610 et 615.

24Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Encore le corps », 1982], p. 568. Comme le précise Éric Marty dans son édition (ibid., p. 569), il s’agit de la transcription d’un « entretien télévisé avec Teri Wehn Damisch pour l’émission Zig-Zag, “Ce corps que l’on habite”, réalisée par Yves Kovacs pour Antenne 2, enregistrée en septembre 1978 et diffusée le 13 octobre 1978 (texte établi par Antoine Compagnon) ».

25Vogue Hommes, n° 10, mai 1978, p. 88. Ici encore nous indiquons, pour cette citation ainsi que pour la suivante, la pagination originale de Vogue Hommes car cette introduction n’est pas transcrite dans les Œuvres complètes.

26Ibid., p. 89.

27Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Encore le corps », 1982], p. 566.

28Ibid., p. 566-567.

29Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« La crise du désir », 1980], p. 942-943.

30Ibid., p. 942.

31Ibid.

32Playboy, septembre 1977, p. 19. Ce sous-titre n’est pas transcrit non plus dans les Œuvres complètes.

33Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [Le Degré zéro de l’écriture, 1953], p. 187.

34Ibid., p. 187-188.

35Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« La crise du désir », 1980], p. 941-945.

36Ibid., p. 941.

37Ibid.

38Dans toute cette partie, nous entendons, par sémiologie, la nouvelle forme que Roland Barthes donne à sa pratique après la mise au point du début des années 1970 et l’appel à une « nouvelle sémiologie » déjà mentionné plus haut. Voir Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« La mythologie aujourd’hui », 1971], p. 874.

39Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [Mythologies suivi de Le Mythe, aujourd’hui, 1957], p. 727-730.

40Ibid., p. 731.

41Œuvres complètes, tome V [« Encore le corps », 1982], p. 565.

42Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« La crise du désir », 1980], p. 942.