Revue

Roland

Barthes





n°3 - Barthes en revues (1942-1980) > mars 2017




Guido Mattia Gallerani

« Je ne suis pas... » : les entretiens de Barthes dans la presse petite-bourgeoise

[Annexe : Liste des entretiens transcrits, radiophoniques et visuels donnés par Roland Barthes]




L’entretien chez Barthes : methodologie du corpus, public, postures


Dans sa forme journalistique, « médiatisée » après les grandes conversations avec les écrivains introduites dans des ouvrages biographiques, l’interview est une création américaine qui remonte à l’essor des quotidiens à prix réduit (Penny Press) dans les années 1830, bientôt imités en France (1836) par des journaux comme La Presse d’Émile Girardin et Le Siécle d’Armand Dutacq. L’« interview » (terme introduit en France en 1884 dans le quotidien Petit Journal[1]) se lie strictement à la naissance de la culture petite-bourgeoise et de sa diffusion à l’époque du journalisme de masse. Le genre de l’entretien et la culture de masse progressent ensemble à travers les changements économiques, technologiques et culturels de la France. Roland Barthes s’affirme comme auteur public au moment où l’audience petite-bourgeoise se développe en nombre et dans ses moyens de diffusion. Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’entretien s’installe aussi dans des médias autres que l’écrit, et l’on commence à percevoir le caractère éclectique d’un genre en pleine expansion, capable de toucher une audience beaucoup plus large. Si Barthes encode dans ses premiers écrits le statut ambigu de la petite bourgeoisie au niveau politique et culturel[2], il a pratiqué comme protagoniste l’entretien et il a été impliqué comme objet de discussion dans une des formes de la divulgation de la culture de masse, plus précisément du rapport que ce public entretient avec les écrivains.

Les entretiens publiés dans des revues, magazines et journaux représentent moins de la moitié des cent quarante et quelques entretiens de divers genres (écrits, audio, vidéo) accordés par Barthes entre 1956 et 1980. Barthes a partagé approximativement sa pratique de l’entretien à égalité entre la radio et la presse écrite : on trouvera en annexe la liste des entretiens de Barthes comprenant les entretiens transcrits dans les Œuvres complètes par Éric Marty et les entretiens radiophoniques et télévisés disponibles ailleurs. Cette liste est toutefois incomplète, un nombre restreint d’entretiens n’ayant pas été vérifiés, ni inclus par conséquent dans l’annexe. Enfin, il manque un certain nombre d’informations concernant titres et intervieweurs pour achever cette présentation.

Dans le tableau, les entretiens sont répartis selon six critères. Dans la première colonne de gauche, les entretiens ont été numérotés suivant un ordre chronologique, sur la base de la date de leur première diffusion dans leur forme originale : entretien transcrit (publié dans la presse), radiophonique ou télévisé. La date est celle qui est indiquée dans la deuxième colonne. Dans le cas où un entretien a été classé par date de diffusion de sa première émission, et où il aurait également été diffusé par un média textuel par exemple, on pourra retrouver cette information secondaire dans la dernière colonne de droite, où le mode de diffusion est précisé. Dans la troisième colonne, on trouve le titre donné à l’entretien par la presse. Dans la quatrième colonne apparaît le nom du présentateur et/ou de l’interviewer : ceci est important afin de comprendre, à travers les occurrences d’un même nom, les complicités tissées au fil des ans entre Barthes et tel ou tel personnage public, telle ou telle émission, revue ou journal écrit. Il en va de même pour le titre du média de diffusion, c’est-à-dire le titre de la revue ou de la chaîne de radio ou de télévision ayant diffusé l’entretien, qui apparaît dans la cinquième colonne.

D’un point de vue de la structure du genre, en reprenant souvent les mêmes questions, les mêmes sujets de discussion, les entretiens divulguent un portrait le plus souvent unifié de l’écrivain dans la société de masse. Le journaliste enquête sur l’écrivain par procuration pour le public, comme si les destinataires devaient proposer les sujets de conversation et les questions à poser. À son tour, l’interviewé se montre conscient de ne pas répondre au seul journaliste, mais de se servir des questions pour s’adresser directement à son public. L’entretien engage évidemment l’écrivain dans une performance publique qui mobilise et immobilise tout à la fois sa personne privée, en l’obligeant à s’exposer au public et à prendre position face aux médias et à ses représentants, les journalistes. Dans toute performance publique, dans la parole comme dans l’écriture, l’écrivain revêt ce qu’on appelle désormais une « posture littéraire », une notion qui a connu une certaine fortune ces dernières années grâce aux travaux de Jérôme Meizoz. Selon Meizoz, sur la scène littéraire l’auteur se présente lui-même et s’exprime par le biais d’une persona ou d’une posture. Persona en latin se référait au masque des acteurs sur la scène ; l’étymologie emprunte au verbe personare l’idée de parler de ou bien à travers quelque chose. Dans persona, il y a cette idée d’une combinaison de la voix avec la situation sociale qui la rend intelligible aux autres. En parlant de « posture », Meizoz désigne à la fois la dimension rhétorique, textuelle, et la dimension actionnelle, autrement dit contextuelle.

Dans l’entretien également, la posture n’est pas exactement une présentation de soi par le seul auteur, qui puise lui-même dans le répertoire des postures préexistantes, mais elle est surtout le produit de l’interaction des différents acteurs médiatiques – journalistes, critiques, biographes et écrivains et auteurs – au service du public lecteur. Si la posture permet de « décrire au mieux l’articulation constante du singulier et du collectif dans le discours littéraire[3] », nous essaierons par ce concept de mieux décrire, à travers les entretiens, les évolutions et changements intervenus dans la durée entre l’écrivain Barthes et le champ littéraire et médiatique de la culture petite-bourgeoise. En ce qui concerne la posture d’un auteur, le genre de l’entretien représente en fait un lieu de compromis et de négociation, qui donne à l’écrivain l’opportunité de participer activement à l’élaboration de son image publique, mais toujours de façon dialectique par rapport au champ médiatique préexistant.



AU-DELA DU NOUVEAU CRITIQUE : 1962-1966


Dans les années 1962-66, Barthes apparaît comme une nouveauté intellectuelle dans la mesure où il est sollicité par des journaux comme Le Figaro littéraire, à qui l’auteur accordera trois interviews durant ces années. En 1962, l’enquête sur le roman français contemporain pour Le Figaro littéraire relève du questionnaire générique, adressé à un critique littéraire militant engagé[4]. Au sein de ce journal, par contraste avec la ligne éditoriale conservatrice, Barthes est assimilé à l’écrivain engagé, dans la mesure où il était partisan d’une critique marxiste de la littérature : ses écrits sur le Nouveau Roman et Brecht témoignent de sa découverte des formes utopiques extra-bourgeoises et d’un théâtre populaire.

S'il y a eu peu d’entretiens avant l’année 1964, cette date semble déterminante dans l'inauguration d'une image publique de Barthes. Lisons ce que Renaud Matignon écrit dans le préambule à l’entretien consacré aux Essais critiques, publié le 16 avril France-Observateur. Le journaliste fait de l’auteur interviewé un portait hyperbolique et propre à nourrir l’idée que Barthes a porté une attaque contre les institutions de la critique traditionnelle :

On l’attend. Ses amis l’attendent. Ses ennemis aussi. Voilà plus de dix ans que le système critique de Roland Barthes exerce sur les meilleurs des jeunes écrivains d’aujourd’hui sa fascination, parfois sa dictature [...] C’est insupportable : on ne peut plus écrire tranquille. Et voici son nouveau recueil : la revanche n’est pas loin. Barthes n’est plus le jeune auteur qu’il faut ménager pour ménager l’avenir ni l’écrivain débutant que sa maladresse rend inoffensif. Il est devenu l’homme à abattre, le témoin gênant après la disparition duquel, enfin, on pourra revenir au petit jeu d’antan, l’élégance, les élans du cœur, la désinvolture, les belles phrases, le joli brin de plume[5].

Voici une représentation de l’écrivain selon la logique sociale de la littérature de l’époque, qui voit différentes phases se succéder : début, affirmation dans le milieu, passage du rôle du disciple initié à celui du maître vénéré, hégémonie et enfin « disparition » envisagée ou presque souhaitée de son vivant pour accéder au statut mythique d’auteur classique. Aussi l’image de Barthes accomplit ses premiers pas au travers de cette narration prédéterminée. D’autre part, le préambule souligne une opposition entre la nouveauté de Barthes, connotée comme difficile du point de vue de la langue, et la tradition des « belles lettres » apaisantes, à laquelle le public est déjà accoutumé. C’est la vieille contradiction au cœur de toute littérature engagée : novatrice par rapport aux formes traditionnelles, et en raison précisément de cela incompréhensible à la masse ; Barthes nouvel écrivain, certes, mais nullement populaire.

En même temps qu’est publié l’entretien pour France-Observateur, un entretien avec Guy Le Clec’h paraît dans Le Figaro littéraire. L’image donnée au public est la même, celle d’un écrivain qui aborde des sujets à la mode, mais qui pour autant reste difficile à lire : « les livres ne sont pas toujours d’une lecture facile[6] ». Mais le style de la présentation de l’interviewé, au début de l’entretien, est fort original, par son caractère narratif et rocambolesque :

Depuis dix ans, les sciences humaines ont en France subi des modifications profondes. [...] Les oeuvres qu’il a publiées, si elles sont encore peu nombreuses, ont chaque fois soulevé un vif intérêt [...] M. Barthes n’a pas encore tout à fait la cinquantaine. Il n’y paraît pas. La silhouette est jeune, le visage lisse. On le sent désireux de parler avec exactitude et de considérer soigneusement les paroles de son interlocuteur. De là cet air constamment attentif. De là aussi le calme d’un entretien qui s’est poursuivi au sixième étage, dans une chambre qui ressemble, à l’ombre de Saint-Sulpice, à une cabine de bateau arrêtée en plein ciel[7].

Barthes est plongé dans une dimension coupée de l’espace social : le mythe de la pièce où se retire l’écrivain, dans une vie toute monacale de solitude pour travailler, dénote une vision décadente et romantique de l’écrivain, à qui on rend encore « visite[8] » comme à une figure sacralisée dans un endroit reculé, et qui s’oppose ici à la posture, aussi bien présent depuis longtemps, de l’écrivain bourgeois, travailleur et de métier, figure concrète d’une idée utilitariste de la littérature[9]. La fin de l’entretien reprend le début ; le rituel des salutations est encore empreint de sanctification à propos du travail de Barthes, qui se retire et disparaît de nouveau dans sa chambre secrète[10] : « Mais le téléphone sonne. M. Barthes est attendu ailleurs. Il soulève une trappe pratiquée dans le plancher de sa pièce. Il descend quelques marches, revient avec son pardessus, et nous quittons la cabine où s’élabore une des pensées les plus captivantes de ces dernières années[11] ». Barthes est ainsi renvoyé à l’image massifiée de l’écrivain diffusé par la culture petite-bourgeoise, celle qu’il combattait dans ses Mythologies[12], et qui révèle encore de la tentative de décrire l’écrivain comme un personnage mythique, pour mieux vendre au public un accès apparent aux mystères de la création littéraire.

Le second entretien avec Guy Le Clec’h pour Le Figaro a lieu sous la menace explicite de Raymond Picard, suite à sa réaction au Sur Racine (1963) de Barthes : « J’ai demandé à M. Roland Barthes s’il désirait répondre aux propos de M. Picard. Très maître de lui, il ne peut cependant retenir une pointe d’agacement[13] ». Le style de Barthes obéit aux contingences de cette querelle :

Je remercie votre journal de me donner la possibilité de m’expliquer. Je ne veux pas grossir les choses, mais je ne peux laisser passer ce que dit Picard. La forme qu’il donne à cette querelle revêt un caractère verbal excessif qui ne rend pas facile de la ramener au niveau des idées et des méthodes[14].

Barthes cherche à répondre directement aux contestations de Picard, par exemple au regard de l’importance de la biographie de Racine pour l’explication de son oeuvre, des degrés différents de solarité racinienne, du personnage de Bajazet et de son inconsistance. Mais plus nettement qu’il le fera dans Critique et vérité, Barthes dépasse l’opposition entre les deux pôles académiques définis pas Bourdieu sur la querelle de la Nouvelle critique : institutions universitaires et institutions extra-universitaires[15] :

C’est moi, en fait, qui crois qu’on peut encore lire Racine aujourd’hui. C’est moi le vrai gardien des valeurs nationales. La nouvelle critique pose, en effet, une question brûlante : l’homme d’aujourd’hui peut-il lire les classiques ? Mon Racine, c’est une réflexion sur l’infidélité, et il n’est donc en rien coupé des problèmes qui nous intéressent immédiatement[16].

Non seulement Barthes revendique ici un rôle novateur par rapport à l’ancienne critique, mais il entend se substituer à Picard et à ses collègues défenseurs des valeurs culturelles nationales et du canon littéraire français, où Racine occupe une place de premier ordre. Barthes se défend en empruntant une posture à d’autres acteurs du champ sociolittéraire dans lequel il vient d’être encadré.

En conclusion, si l’on considère l’année 1964 comme une sorte de début, on peut distinguer deux phases grossièrement, plus ou moins distinctes et successives. D’abord, à la suite de sa conduite d’écrivain engagé dans les années 1950, Barthes est perçu par les principaux journaux tenant du discours petit-bourgeois comme un auteur novateur mais incompréhensible : il est certes reconnu membre de ce groupe, mais l’on souligne le caractère élitiste et anti-bourgeois de son travail. Ensuite, face à une tentative de neutralisation de sa présence sous l'emblème mythique de l’écrivain sacralisé (sans toutefois être aligné à la posture travailleuse de l’écrivain bourgeois), la posture de Barthes est raillée en raison de sa posture d’intellectuel opposé au champ légitimé des institutions éducatives. Il cherche à dialectiser cette posture par une revendication en tant qu’intellectuel véritable, non plus réduit à la seule activité de critique militant, mais penché aussi sur le répertoire classique de la littérature. Les entretiens des années suivantes confirmeront Barthes dans son rôle d’intellectuel public au-delà du critique littéraire, et cela en raison de ses oeuvres : nombre de ses entretiens sont consacrés à ses ouvrages scientifiques, comme Système de la mode, en 1967. Mais sa notoriété accrue obligera à un nouveau positionnement dans la conduite de ses entretiens, particulièrement en ce qui concerne sa biographie.



L’ECRIVAIN-VEDETTE, L’AUTEUR SECRET : 1971-1977


Entre 1968 et 1977, Barthes est de moins en moins l’« un de ces personnages inconnus du public dont la notoriété est considérable parmi les intellectuels[17] ». Les années 1970 sont celles de la célébrité. C’est en tant qu’écrivain-vedette qu’il s’engage maintenant dans l’entretien journalistique : les journaux le sollicitent pour avoir des informations sur ce qu’il est en train d’écrire. En 1971, la revue Tel Quel publie le premier numéro entièrement consacré à Barthes. Les entretiens radiophoniques se multiplient et entrent en concurrence avec les entretiens écrits ; enfin, la participation à l’émission télévisée Apostrophes de Bernard Pivot en 1977, en compagnie de Françoise Sagan, sous le titre « Parlez-moi d’amour », consacre le succès public pour Barthes, et assure une confortable fortune commerciale à son oeuvre.

Dans le numéro de Tel Quel, l’entretien intitulé « Réponses » joue un rôle fondamental dans la carrière de Barthes. Le numéro est particulièrement important pour la revue : le prix est rehaussé à dix-huit francs, contre les quinze francs habituels. Le numéro inscrit Barthes dans un processus d’autocritique de la rédaction. L’article « Positions du mouvement de Juin 71 » proclame l’isolement de Tel Quel par rapport au champ intellectuel français et sa prise de distances vis-à-vis des autres revues, notamment la revue communiste Nouvelle Critique, à travers des positions révolutionnaires anti-staliniennes influencées par la nouvelle « pensée-maotsétoung[18] ». L’entretien avec Barthes publié à cette occasion est à l’origine un entretien filmé, enregistré les 23 et 24 novembre 1970 et le 14 mai 1971. L’intégralité ne sera diffusée qu’en 1981 au Centre Pompidou, et une heure d’extraits a été communiquée au public en mai 2015 à la Bibliothèque Nationale de France, à l’occasion des célébrations du centenaire Barthes. L’entretien fait partie de la série réalisée par Jean José Marchand entre 1969 et 1974, constituant un témoignage des mouvements intellectuels de l’époque (la fin de l’ORTF décrète aussi la fin des archives filmées[19]).

Concernant la structure de cette émission, le questionnaire biographique et chronologique était soumis à l’avance aux personnalités, comme le montre l’analyse du dossier génétique conservé par Barthes sous le titre « Interviews », aujourd’hui consultable à la Bibliothèque nationale[20]. Marchand se souvient : « Il n’avait accepté l’interview qu’à condition que je lui soumette le questionnaire, dont j’avais confié la rédaction, sur son conseil, à l’un de ses disciples, Jean Thibaudeau[21] ». Jean Thibaudeau était membre de la rédaction de Tel Quel et c’est probablement pour cette raison qu’une partie de l’entretien télévisé a été transposée dans un format écrit, pour le numéro 47 de la revue. On trouve également dans les archives le dossier utilisé à l’occasion de la préparation de la publication. Parmi les soixante-dix-huit questions rédigées par Jean Thibaudeau et dactylographiées sur quatorze feuilles, Barthes en choisit vingt-neuf en vue de la version écrite : de ses réponses, nous avons une version manuscrite en vingt pages avec nombre de corrections manuscrites et une seconde version dactylographiée en dix-neuf pages avec des corrections, toujours manuscrites, plus marginales.

Le plan de l’entretien est établi sans tenir compte des positions politiques du numéro de Tel Quel ; le parcours biographique de Barthes est restitué de manière aussi détaillée que possible et présenté de façon claire, tant du respect du format des archives de Marchand tout autant que des choix de Barthes. Sur les soixante-dix-huit questions, Barthes choisit toutes les questions biographiques, situées au début du questionnaire ; l’auteur deviendra plus sélectif dès qu’il abordera les questions relatives à son oeuvre. De surcroît, Barthes fait valoir sa prérogative d’auteur pour ajouter une question qui manquait, à son sens, à sa reconstruction biographique : la question neuf, « Votre vie jusqu’à Michelet par lui-même[22]? », n’apparaît pas dans le questionnaire original de Thibaudeau ; elle a été ajoutée personnellement par Barthes lors de sa première rédaction manuscrite[23]. En outre, les questions les plus militantes sont laissées de côté ou bien intégrées au parcours biographique. Par exemple, la question relative à la querelle avec Picard est omise (n° 57). Même des éclaircissements d’ordre intellectuel sont abandonnés, après une première tentative de réponse, comme l’explication de ses positions marxistes.

À titre d’exemple, on voit par l’analyse du dossier qu’à la fin de la réponse n° 15, pour la question sur la position politique de Barthes dans les années 1950, Barthes considère, donnant suite à ses Mythologies, la culture petite-bourgeoise comme une sorte de « farce » de la culture bourgeoise[24]. Mais dans la première version manuscrite, la réponse se poursuivait par une considération de base marxienne sur le travail intellectuel, présenté comme un métier aliénant, à l’instar du travail manuel. L’analogie ne résiste pas à l’épreuve de la relecture et cette dernière phrase sera éliminée par l’auteur :

je « sens » toujours le politique à travers le « culturel » : la « culture » est le lieu de mon métier, de mon aliénation, c’est là que je cherche une libération, c’est là que je suis abîmé, comme l’est un ouvrier dans son usine, un petit vendeur dans son grand magasine, un éboueur à son camion[25].

En général, Barthes semble avoir envisagé cet entretien autour de deux axes ayant tendance à converger. Dans la partie biographique, il développe un récit bien organisé sur sa vie intellectuelle : c’est l’occasion d’aborder les sujets politiques qui intéressent la revue mais d’une manière indirecte, édulcorée, à travers le fait biographique plutôt que par des prises de position explicites et ouvertement militantes, en accord avec Tel Quel. Cependant, quand les questions commencent à porter sur les livres et la théorie, Barthes n’entend pas utiliser l’entretien pour s’expliquer sur ce qu’il a écrit.

Le préambule à l’entretien clarifie sa stratégie, dans la mesure où Barthes se charge lui-même de l’écrire. Le fait que même un intervieweur ami comme Thibaudeau ne convienne pas à la tâche donne la mesure de l’importance tactique de cette présentation pour Barthes. Il introduit un personnage autobiographique et romanesque, avant encore de débuter la narration de son parcours biographique :

Pour une série d’entretiens télévisé, enregistrés sous le titre général « Archives du XXe siècle », mais qui ne sortiront sans doute jamais, sinon peut-être en cas de mort de l’auteur, Jean Thibaudeau avait eu la gentillesse de préparer à mon intention un long questionnaire, précis, direct, bien informé, portant à la fois (c’était la règle) sur la vie et l’œuvre. Il s’agissait bien sûr d’un jeu, dont ni lui ni moi, venus d’un lieu théorique où la biographie est peu considérée, ne pouvions être dupes. Cet entretien a eu lieu, mais il n’est possible de reproduire ici qu’une petite partie des questions très nombreuses qui ont été posées. Les réponses ont été réécrites – ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse d’écriture, puisque, vu le propos biographique, le je (et sa kyrielle de verbes au passé) doit être ici assumé comme si celui qui parle était le même (à la même place) que celui qui a vécu. On voudra bien en conséquence se rappeler que la personne qui est née en même temps que moi le 12 novembre 1915 va devenir continûment sous le simple effet de l’énonciation une première personne entièrement « imaginaire[26] ».

Barthes n’est plus cette fois prise dans une posture publique, comme c’était le cas dans la présentation à l’entretien du Figaro ; ici Barthes trouve le moyen d’inventer lui-même une « posture littéraire » qui met en scène d’emblée un nouveau personnage romanesque dont il tirera personnellement les ficelles. Cette posture dans les entretiens caractérise une autre apparition de la figure autobiographique que Barthes emploie dans ses essais des années 1970[27]. La notion de romanesque a, chez Barthes, un statut particulier : le romanesque n’identifie pas le mode narratif du roman picaresque, mais un mode de perception du sujet, ancré sur la dimension de l’imaginaire affectif et privé, qui peut s’appliquer aussi au récit biographique et autobiographique pour le fragmenter et en poétiser des détails corporels, presque de fragments de posture littéraire de certains auteurs (notamment dans les vies de Sade et Fourier, comme nous le verrons[28]). Cette mise en scène d’un personnage romanesque de Barthes permet surtout de mobiliser l’imaginaire de l’auteur dans les écrits ainsi que dans les entretiens. En effet, ce préambule à l’entretien – sorte de préfiguration de l’introduction (manuscrite) de Roland Barthes par Roland Barthes[29] – fait écho à l’avant-dernière réponse de Barthes. Celle-ci prend la forme d’un bref essai autour du genre de l’entretien, notamment l’entretien transcrit, à savoir enregistré. Barthes y explique le rôle constitutif de l’entretien comme genre auxiliaire, venant en complément de l’image publique d’un auteur, davantage dans l’esprit du travail que Barthes accomplit sur l’imaginaire du sujet que dans les objectifs politiques du numéro de Tel Quel :

Le seul genre d’entretien que l’on pourrait à la rigueur défendre, serait celui où l’auteur serait sollicité d’énoncer ce qu’il ne peut pas écrire. [...] Ce que l’écriture n’écrit jamais, c’est Je ; ce que la parole dit toujours, c’est Je ; c’est donc l’imaginaire de l’auteur, la collection de ses fantasmes [...] en ce qui me concerne : la musique, la nourriture, le voyage, la sexualité, les habitudes de travail[30].

Pendant les années 1973-76, des entretiens tout aussi promotionnels continuent d’être produits. On attend la sortie de ses livres pour les commenter avec lui, Barthes étant désormais une « figure centrale » de la littérature française contemporaine « qui a vraiment de l’influence à l’étranger[31] ». Son investiture comme écrivain est dorénavant inattaquable, puisque même Le Figaro consacre son dernier entretien avec Barthes, le 5 juillet 1975, à son style d’écriture[32]. Et pourtant, l’apparition de son imaginaire dans les entretiens portera ses fruits. Dans un des derniers entretiens, donné en mars 1980 à la page « Santé » de Playboy, il sera question des aspects évoqués dans l’entretien à Tel Quel : son régime alimentaire et ses goûts culinaires[33].



UN REGLEMENT DE COMPTES AVEC ELLE


Après la publication de en 1977, un lien plus étroit s’établit entre Barthes et des revues populaires comme Playboy, qui tentaient à l’époque d’asseoir leur notoriété par des signatures de grande envergure culturelle. L’édition française du numéro de septembre 1977 (n° 46) donne bien la dimension de l’ambition littéraire du magazine ; en couverture, les titres sont explicites : « Adam et Ève par Michel Tournier », « Roland Barthes et l’amour », « Un conte érotique de Maurice Leblanc », « Les confessions de Jacques Martin ». Vu le succès des Fragments, l’interrogation porte moins sur la biographie personnelle de Barthes que sur sa vie secrète ; asservis à la curiosité d’un public non plus seulement spécialiste, et contraints par un changement advenu dans l’écriture de Barthes, les journalistes n’ont plus besoin de véhiculer une image sacrée de l’écrivain qui se cache en deçà de son œuvre, mais peuvent poser des questions beaucoup plus directes, comme : « étiez-vous amoureux quand vous l’avez écrit ? ». Barthes a souvent recours à l’ironie, « (Sourire.) », ou à la réticence et la censure : « C’est une question à laquelle jusqu’ici j’ai toujours refusé de répondre. Enfin...[34] ». Toutefois, il est vrai que les intervieweurs sont de plus en plus des amis ou des proches de l’auteur et ont désormais compris les dessous de sa posture littéraire. Après le Roland Barthes par Roland Barthes et Fragments d’un discours amoureux, les aspects les plus personnels méritaient d’être explorés un à un, mais dans le sens de l’imaginaire dont parlait Barthes dans l’entretien du 1971.

L’entretien du 4 décembre 1978 accordé au magazine féminin Elle est particulièrement utile pour conclure notre parcours. Dans le dossier conservé à la BnF[35], deux lettres de Françoise Tournier sur papier à en-tête de la revue, datées des 20 septembre et 17 octobre 1978, font comprendre que l’entretien s’est déroulé par enregistrement sur magnétophone suivi d’une transcription. Alors que les vingt-trois questions sont détaillées sur six feuilles dactylographiées, les réponses de Barthes restent à l’état de notes préparatoires manuscrites, au stylo bleu, sur huit demi-feuilles, dont cinq, d’un filigrane différent, sont en réalité des fiches d’Incidents, une sorte de brouillon préliminaire de ces fragments (dont deux sont éliminés par une barre oblique).

Cet entretien constitue un moment capital, dans la mesure où le magazine Elle semble avoir un compte à régler avec Barthes. L’intervieweuse Françoise Tournier pose à Barthes une question sur ses Mythologies ; l’idée est de rappeler à Barthes qu’il a écrit, il y a un certain nombre d’années, contre cette presse féminine petite-bourgeoise ; Françoise Tournier parle alors comme si l’auteur devait s’excuser de ses anciennes attaques :

N’avez-vous pas envie, aujourd’hui, d’écrire une suite à Mythologies, qui a vingt ans ? En ce qui concerne Elle, l’image que vous en donniez dans ce livre est périmée. Si le rosâtre a été un temps notre couleur de prédilection, depuis 1968 nous avons pris du ton. Il nous arrive même souvent de traiter des sujets très noirs[36].

Dans les questions originales conservées dans le dossier, on retrouve un commentaire de Françoise Tournier qui dissimule mal une excusatio non petita en marge de cette question. Cette note cache maladroitement que la question est dictée davantage en raison du public et de la ligne éditoriale dite renouvelée que par intérêt personnel de l’intervieweuse : « (Je ne cherche pas du tout à vous extorquer des louanges, Monsieur, bien sûr. Je voulais vous envoyer quelques Elle récents, mais J.P. Fracas me dit que vous nous lisez sûrement (!)[37] ». Il faut revenir en arrière, dans les années 1950, pour comprendre ce qui est en jeu.

Françoise Tournier se réfère à la Mythologie « Cuisine ornementale », qui présentait l’hebdomadaire Elle, « précieux » et « légendaire », comme un « véritable trésor mythologique[38] » pour la façon dont les photographies de cuisine présentaient « à l’immense public populaire qui est le sien (des enquêtes en font foi) le rêve même du chic ; d’où une cuisine du revêtement et de l’alibi, qui s’efforce toujours d’atténuer ou même de travestir la nature première des aliments, la brutalité des viandes ou l’abrupt des crustacés[39] ». Dans l’entretien, vingt ans plus tard, on voit bien que la couleur signalée par Barthes est restée gravée dans la mémoire de la revue : Barthes décrit un « poulet rosâtre » et relie cette couleur à l’essence du magazine, incarnée par « toute une cuisine en rocaille (le rosâtre est la couleur de prédilection[40]) ». Barthes conclut ainsi sa petite mythologie :

C’est parce qu’Elle s’adresse à un public vraiment populaire qu’elle prend bien soin de ne pas postuler une cuisine économique. Voyez L’Express, au contraire, dont le public exclusivement bourgeois est doté d’un pouvoir d’achat confortable [...] Le public d’Elle n’a droit qu’à la fable, à celui de L’Express on peut proposer des plats réels, assuré qu’il pourra les confectionner[41].

Dans l’entretien, Barthes ne revient pas sur ses positions passées. S’il prend d’abord ses distances d’avec la presse d’aujourd’hui, il valorise néanmoins Elle comme magazine progressiste, en cela que sa position éditoriale cherche une voix féminine « juste », c’est-à-dire appropriée au nouveau champ social de son public, qui a changé en composition et connaissance de soi :

Je reste de longues périodes sans lire de revues. Mais je crois, effectivement, qu’Elle a beaucoup changé. Au niveau d’un journal comme Elle, il y a une tâche du grand journalisme qui ressort un peu de tout ce que nous venons de dire. Le bon journalisme doit à coup sûr aider les lecteurs à prendre une conscience critique et sans tabous de la société. Dans le cas d’Elle, la transformation du journal et les éléments de réflexion qu’il peut comporter sont évidemment en liaison avec le développement de la conscience féminine. Et l’important, pour les femmes, n’est pas d’avoir une voix forte – comme y prétendent quelquefois des mouvements féminins –, mais d’avoir une voix juste. Une voix qui accepte la subtilité[42].

En fait, ce que dit Barthes confirme ses théories dans les Mythologies : la petite-bourgeoisie, ou la classe moyenne, a assimilé les couches les plus populaires tout autant que la véritable classe bourgeoise. Sans renier la perspective critique des Mythologies, Barthes prend toutefois en compte le changement social concernant le public de la presse écrite. Si le champ éditorial est toujours orienté à s’adapter aux modulations de son public, Barthes sait que c’est précisément quand on devient un « auteur de moins en moins localisable[43] » qu’on a davantage de chances de déjouer les manœuvres des journalistes et de la presse petite-bourgeoise pour stabiliser l’image de l’auteur en un produit commercialisable au moment où ce public change et se renouvelle. Assumer une posture romanesque de son rôle d’auteur, qui insiste sur l’imaginaire fragmenté par détails d’écriture plutôt que sur la restitution de la biographie comme indice ou symptôme de l’œuvre, permet à Barthes de déjouer la fixité du répertoire postural de l’écrivain dans la société de masse et même de déconstruire le processus de personnalisation de l’auteur public poursuivi par la presse petite-bourgeoise. Certes, Barthes est conscient de la continuité qui s’établit entre une posture publique de l’écrivain et son usage d’un masque, mais ce masque sert précisément à déjouer la posture. À propos des posters, commentés dans la préface du catalogue d’une exposition au Musée des Arts Décoratifs en 1972, il évoque à côté de la posture, l’imposture :

Est-il permis de jouer sur les mots ? Le poster est alors cette image qui permet d’énoncer une posture. La posture n’est pas seulement une manière de tenir son corps ; c’est un geste emphatique, spectaculaire, immobile (apparenté au tableau vivant, plus qu’au théâtre) ; c’est un rôle (on peut l’usurper : d’où le contraire de la posture : l’imposture[44]).

D’emblée, Barthes comprend autour de 1964 que l’entretien constitue pour lui un moyen d’affranchir son image du seul domaine critique et littéraire. Une fois son image rattachée à celle de l’intellectuel, Barthes doit se confronter avec la curiosité du public envers sa personne privée et opte pour transférer dans l’entretien son personnage autobiographique comme une posture romanesque, soit pour l’explorer à l’instar de son travail d’écrivain des mêmes années, soit pour éviter d’intégrer sa biographie et vie privée dans sa posture publique comme un masque transparent qui permet de vendre, avec les œuvres, la personnalité de l’écrivain. Comme il l’écrit dans la préface à Sade, Fourier, Loyola, « l’auteur qui revient n’est certes pas celui qui a été identifié par nos institutions […] il est un simple pluriel de charmes, le lieu de quelques détails ténus, source cependant de vives lueurs romanesques[45] ». Par rapport à la posture, son idée d’imposture serait alors à la fois une négation (« je ne suis pas… ») et un masque (une véritable posture comme persona, comme acteur sur scène) que l’écrivain peut mobiliser pour rendre plus fluctuant son positionnement public et le confondre dans les images d’auteur véhiculées normalement par la presse des journaux populaires :

Puisque vous m’interrogez sur moi, c’est cela qui m’apparaît : il y a une grande fidélité au niveau du désir, et c’est cette relation au langage. Mais en même temps, il y a une grande souplesse, ou une grande infidélité dans le champ intellectuel. Je ne suis pas un grand lecteur. Je ne suis pas non plus un grand débatteur. Bref, je ne suis pas un véritable intellectuel...[46]

Plan



Résumé

Cet article propose une étude sur le genre de l’entretien chez Barthes comme il le pratique dans des journaux populaires à gros tirage, auxquels il accorde certains de ses entretiens et interviews. La problématique suit une approche historique. Notre étude s’appuie notamment sur les ressources génétiques disponibles dans les archives barthésiennes conservées à la BnF, qui contiennent une chemise consacrée aux entretiens. Nous proposons aussi une liste répertoriée des entretiens de Barthes. Nous discutons ici du positionnement de Barthes face au champ idéologique de la presse écrite petite-bourgeoise. Enfin, nous montrons que l’invention d’une posture littéraire « romanesque » (régulée sur ses autres écritures) permet à Barthes de jouer de sa propre image d’auteur, tout en évitant de réduire cette dernière à la figure médiatique et personnalisée de l’auteur telle que peut la perpétuer la presse petite-bourgeoise.


Bibliographie

[1]Jean Royer, « De l’entretien », Études Françaises, n° 12, 1987, p. 117–123.

[2]Dans « Le mythe, aujourd’hui », Barthes envisage la petite bourgeoisie comme une « classe intermédiaire » qui n’a pas le statut économique de la classe bourgeoise, mais vit en symbiose avec elle : ensemble, elles constituent la principale alliance politique de la France moderne ; toutefois la petite bourgeoisie n’absorbe les normes bourgeoises que dans une forme culturelle déjà dégradée et commercialisée (Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 852).

[3]Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007, p. 18. Pour un aperçu sur la diffusion de cette notion dans les dernières années, voir les publications de la revue COnTEXTES et, en particulier, le numéro 8 (2011) : « La posture. Genèse, usage et limites d’un concept », éd. par Denis Saint-Amand et David Vrydaghs.

[4]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Les choses signifient-elles quelque chose ? », 1962], p. 45-47.

[5]Renaud Matignon, France-Observateur, 16 avril 1964, dans Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Je ne crois pas aux influences », 1964], p. 615.

[6]Guy Le Clec’h, Le Figaro littéraire, 16-22 avril 1964, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Entretien sur les Essais critiques », 1964], p. 621.

[7]Ibid., p. 619.

[8]Cf. la référence classique d’Olivier Nora, « La visite au grand écrivain », dans Pierre Nora (éd.), Les lieux de mémoire, tome II, Paris, Gallimard, 1997, p. 2131-2155. Mais aussi le mémoire de Marielle Gubelmann, La visite à l’écrivain (1870-1940). Variations autour de la figure d’auteur sous la Troisième République, sous la direction de Jérôme Meizoz (Université de Lausanne, 2007).

[9]Voir par exemple l’orientation de la posture de l’écrivain à l’intérieur du cabinet de travail dans les interviews et les correspondances d’Émile Zola (Frédérique Giraud et Émilie Saunier, « La posture littéraire à l’épreuve de deux cas empiriques », COnTEXTES [En ligne], Varia, mis en ligne le 24 janvier 2012, consulté le 20 juillet 2016. URL : http://contextes.revues.org/4892 ? DOI : 10.4000/contextes.4892).

[10]La chambre de Barthes apparaît dans une version plus détaillée et romanesque lors de la présentation de l’entretien « Voyage autour de Roland Barthes » : « Barthes est un homme qui nous reçoit avec amabilité, avec discrétion, quelque part, du côté du Jardin du Luxembourg, et dans les hauts d’une maison, si bien qu’une fois la porte refermée, dans cet appartement fabriqué de livres et de dessins, on croit qu’on est entré dans l’espace d’une autre dimension, dans une de ces chambres que l’on voit sur les anciens tableaux, taillées pour les longues études, pour le déchiffrement de manuscrits et même de palimpsestes, jusqu’à une heure avancée de la nuit, et c’est pourquoi sans doute il émane de l’occupant de ce lieu lointain une réserve, ou une solitude, encore que cette solitude ne soit pas fugue ou retrait, mais plutôt une amitié un peu paralysée, un peu figée, si la chose peut se dire » (Gilles Lapouge, La Quinzaine littéraire, 1er-15 décembre 1971, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Voyage autour de Roland Barthes », 1971], p. 1045).

[11]Guy Le Clec’h, Le Figaro littéraire, 16-22 avril 1964, dans Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Entretien sur les Essais critiques », 1964], p. 621.

[12]« L’écrivain est la proie d’un dieu intérieur qui parle en tous moments, sans se soucier, le tyran, des vacances de son médium » (Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [« L’écrivain en vacances », dans Mythologies, 1957], p. 694).

[13]Guy Le Clec’h, Le Figaro littéraire, 14-20 octobre 1965, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Au nom de la “nouvelle critique”. Roland Barthes répond à Raymond Picard », 1965], p. 750. Voulant donner une impression d’impartialité entre les deux camps Le Figaro avoue par la voix de son journaliste : « Si l’une des deux méthodes a ma préférence, je ne dirai pas laquelle » (ibid., p. 753), mais pour donner ensuite tout son soutien à Picard lors de la publication de son ouvrage Nouvelle critique ou nouvelle imposture, en 1965.

[14]Ibid., p. 750.

[15]Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le Sens commun », p. 149-155.

[16]Guy Le Clec’h, Le Figaro littéraire, 14-20 octobre 1965, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Au nom de la “Nouvelle critique”. Roland Barthes répond à Raymond Picard », 1965], p. 752.

[17]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« L’Express va plus loin avec... Roland Barthes », 1970], p. 671.

[18]Tel Quel, « Positions du mouvement de Juin 71 », Tel Quel, n° 47, 1971, p. 136.

[19]Le projet de Marchand est composé de cent-cinquante entretiens filmés, quelques-uns visibles aujourd’hui dans les archives et sur le site de l’INA.

[20]Bibliothèque National de France, dossier BRT2.A28.01.

[21]Témoignage de Jean José Marchand [en ligne]. URL : http://www.jeanjosemarchand.fr/rubrique7.html [site consulté le 15 janvier 2016].

[22]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Réponses », 1971], p. 1028.

[23]BnF, BRT2.A28.01, 3ème chemise, n° 17.

[24]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Réponses », 1971], p. 1031.

[25]BnF, BRT2.A28.01, 3ème chemise, n° 17. La transcription génétique de l’ensemble des corrections a été simplifiée pour les exigences du présent article.

[26]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Réponses », 1971], p. 1023.

[27]Magali Nachtergael réfléchit en détail sur le questionnement chez Barthes de la représentation de soi dans « Vers l’autobiographie New Look de Roland Barthes. Photographies, scénographie et réflexivité théorique », Image & Narrative, vol. 13, n. 4, 2012, p. 112-128.

[28]Voir aussi la notion de biographème chez Barthes : « De la même façon, j’aime certains traits biographiques qui, dans la vie d’un écrivain, m’enchantent à l’égal de certaines photographies ; j’ai appelé ces traits des biographèmes ; la Photographie a le même rapport à l’Histoire que le biographème à la biographie » (Barthes, Œuvres complètes, tome V [La Chambre claire, 1980], p. 811).

[29]« Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman » (Roland Barthes, Œuvres complètes, tome IV [Roland Barthes par Roland Barthes, 1975], p. 577).

[30]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Réponses », 1971], p. 1042-1043.

[31]Hector Bianciotti, Le Nouvel Observateur, 17 décembre 1973, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome IV [« Les fantômes de l’Opéra », 1973], p. 488.

[32]Laurent Kissel, Le Figaro littéraire, 5 juillet 1975, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome IV [« Roland Barthes met le langage en question », 1975], p. 914-918.

[33]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1980], p. 938-940.

[34]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1977], p. 416.

[35]BnF, BRT2.A28.01, 4ème chemise, n° 27.

[36]Françoise Tournier, Elle, 4 décembre 1978, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Des mots pour faire entendre un doute », 1978], p. 572.

[37]BnF, BRT2.A28.01, 4ème chemise, n° 27.

[38]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [Mythologies, 1957], p. 770.

[39]Idem.

[40]Ibid., p. 771.

[41]Ibid., p. 771-772. Déjà dans l’article « Romans et Enfants », Barthes attaque le magazine : « monde sans hommes, mais tout entier constitué par le regard de l’homme, l’univers féminin d’Elle est très exactement celui du gynécée » (ibid., p. 714).

[42]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Des mots pour faire entendre un doute », 1978], p. 573.

[43]Jacques Henric, Artpress, mai 1977, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1977], p. 398.

[44]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome IV [« L’affiche anglaise », 1972], p. 184.

[45]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [Sade, Fourier, Loyola, 1971], p. 705.

[46]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Voyage autour de Roland Barthes », entretien avec Gilles Lapouge, La Quinzaine littéraire, 1971], p. 1049.


Auteur

Guido Mattia Gallerani est chercheur postdoctoral en littératures comparées à l’Université de Bologne, où il conduit un projet sur l’hybridation littéraire. Après avoir obtenu son doctorat en littératures comparées à l’Université de Florence (2013), en 2015 il a été chercheur postdoctoral de la Ville de Paris avec un projet sur les entretiens de Roland Barthes conduit auprès de l’Institut des textes et manuscrits modernes (ENS/CNRS). Il a publié Roland Barthes e la tentazione del romanzo (Morellini, 2013).

Pour citer cet article

Guido Mattia Gallerani, « "Je ne suis pas..." : les entretiens de Barthes dans la presse petite-bourgeoise », in Jacqueline Guittard & Magali Nachtergael (dir.), Revue Roland Barthes, nº 3, mars 2017 [en ligne]. URL : http://www.roland-barthes.org/article_gallerani_2.html [Site consulté le DATE].


1Jean Royer, « De l’entretien », Études Françaises, n° 12, 1987, p. 117–123.

2Dans « Le mythe, aujourd’hui », Barthes envisage la petite bourgeoisie comme une « classe intermédiaire » qui n’a pas le statut économique de la classe bourgeoise, mais vit en symbiose avec elle : ensemble, elles constituent la principale alliance politique de la France moderne ; toutefois la petite bourgeoisie n’absorbe les normes bourgeoises que dans une forme culturelle déjà dégradée et commercialisée (Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 852).

3Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007, p. 18. Pour un aperçu sur la diffusion de cette notion dans les dernières années, voir les publications de la revue COnTEXTES et, en particulier, le numéro 8 (2011) : « La posture. Genèse, usage et limites d’un concept », éd. par Denis Saint-Amand et David Vrydaghs.

4Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Les choses signifient-elles quelque chose ? », 1962], p. 45-47.

5Renaud Matignon, France-Observateur, 16 avril 1964, dans Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Je ne crois pas aux influences », 1964], p. 615.

6Guy Le Clec’h, Le Figaro littéraire, 16-22 avril 1964, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Entretien sur les Essais critiques », 1964], p. 621.

7Ibid., p. 619.

8Cf. la référence classique d’Olivier Nora, « La visite au grand écrivain », dans Pierre Nora (éd.), Les lieux de mémoire, tome II, Paris, Gallimard, 1997, p. 2131-2155. Mais aussi le mémoire de Marielle Gubelmann, La visite à l’écrivain (1870-1940). Variations autour de la figure d’auteur sous la Troisième République, sous la direction de Jérôme Meizoz (Université de Lausanne, 2007).

9Voir par exemple l’orientation de la posture de l’écrivain à l’intérieur du cabinet de travail dans les interviews et les correspondances d’Émile Zola (Frédérique Giraud et Émilie Saunier, « La posture littéraire à l’épreuve de deux cas empiriques », COnTEXTES [En ligne], Varia, mis en ligne le 24 janvier 2012, consulté le 20 juillet 2016. URL : http://contextes.revues.org/4892 ? DOI : 10.4000/contextes.4892).

10La chambre de Barthes apparaît dans une version plus détaillée et romanesque lors de la présentation de l’entretien « Voyage autour de Roland Barthes » : « Barthes est un homme qui nous reçoit avec amabilité, avec discrétion, quelque part, du côté du Jardin du Luxembourg, et dans les hauts d’une maison, si bien qu’une fois la porte refermée, dans cet appartement fabriqué de livres et de dessins, on croit qu’on est entré dans l’espace d’une autre dimension, dans une de ces chambres que l’on voit sur les anciens tableaux, taillées pour les longues études, pour le déchiffrement de manuscrits et même de palimpsestes, jusqu’à une heure avancée de la nuit, et c’est pourquoi sans doute il émane de l’occupant de ce lieu lointain une réserve, ou une solitude, encore que cette solitude ne soit pas fugue ou retrait, mais plutôt une amitié un peu paralysée, un peu figée, si la chose peut se dire » (Gilles Lapouge, La Quinzaine littéraire, 1er-15 décembre 1971, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Voyage autour de Roland Barthes », 1971], p. 1045).

11Guy Le Clec’h, Le Figaro littéraire, 16-22 avril 1964, dans Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Entretien sur les Essais critiques », 1964], p. 621.

12« L’écrivain est la proie d’un dieu intérieur qui parle en tous moments, sans se soucier, le tyran, des vacances de son médium » (Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [« L’écrivain en vacances », dans Mythologies, 1957], p. 694).

13Guy Le Clec’h, Le Figaro littéraire, 14-20 octobre 1965, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Au nom de la “nouvelle critique”. Roland Barthes répond à Raymond Picard », 1965], p. 750. Voulant donner une impression d’impartialité entre les deux camps Le Figaro avoue par la voix de son journaliste : « Si l’une des deux méthodes a ma préférence, je ne dirai pas laquelle » (ibid., p. 753), mais pour donner ensuite tout son soutien à Picard lors de la publication de son ouvrage Nouvelle critique ou nouvelle imposture, en 1965.

14Ibid., p. 750.

15Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le Sens commun », p. 149-155.

16Guy Le Clec’h, Le Figaro littéraire, 14-20 octobre 1965, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II [« Au nom de la “Nouvelle critique”. Roland Barthes répond à Raymond Picard », 1965], p. 752.

17Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« L’Express va plus loin avec... Roland Barthes », 1970], p. 671.

18Tel Quel, « Positions du mouvement de Juin 71 », Tel Quel, n° 47, 1971, p. 136.

19Le projet de Marchand est composé de cent-cinquante entretiens filmés, quelques-uns visibles aujourd’hui dans les archives et sur le site de l’INA.

20Bibliothèque National de France, dossier BRT2.A28.01.

21Témoignage de Jean José Marchand [en ligne]. URL : http://www.jeanjosemarchand.fr/rubrique7.html [site consulté le 15 janvier 2016].

22Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Réponses », 1971], p. 1028.

23BnF, BRT2.A28.01, 3ème chemise, n° 17.

24Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Réponses », 1971], p. 1031.

25BnF, BRT2.A28.01, 3ème chemise, n° 17. La transcription génétique de l’ensemble des corrections a été simplifiée pour les exigences du présent article.

26Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Réponses », 1971], p. 1023.

27Magali Nachtergael réfléchit en détail sur le questionnement chez Barthes de la représentation de soi dans « Vers l’autobiographie New Look de Roland Barthes. Photographies, scénographie et réflexivité théorique », Image & Narrative, vol. 13, n. 4, 2012, p. 112-128.

28Voir aussi la notion de biographème chez Barthes : « De la même façon, j’aime certains traits biographiques qui, dans la vie d’un écrivain, m’enchantent à l’égal de certaines photographies ; j’ai appelé ces traits des biographèmes ; la Photographie a le même rapport à l’Histoire que le biographème à la biographie » (Barthes, Œuvres complètes, tome V [La Chambre claire, 1980], p. 811).

29« Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman » (Roland Barthes, Œuvres complètes, tome IV [Roland Barthes par Roland Barthes, 1975], p. 577).

30Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Réponses », 1971], p. 1042-1043.

31Hector Bianciotti, Le Nouvel Observateur, 17 décembre 1973, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome IV [« Les fantômes de l’Opéra », 1973], p. 488.

32Laurent Kissel, Le Figaro littéraire, 5 juillet 1975, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome IV [« Roland Barthes met le langage en question », 1975], p. 914-918.

33Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1980], p. 938-940.

34Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1977], p. 416.

35BnF, BRT2.A28.01, 4ème chemise, n° 27.

36Françoise Tournier, Elle, 4 décembre 1978, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Des mots pour faire entendre un doute », 1978], p. 572.

37BnF, BRT2.A28.01, 4ème chemise, n° 27.

38Roland Barthes, Œuvres complètes, tome I [Mythologies, 1957], p. 770.

39Idem.

40Ibid., p. 771.

41Ibid., p. 771-772. Déjà dans l’article « Romans et Enfants », Barthes attaque le magazine : « monde sans hommes, mais tout entier constitué par le regard de l’homme, l’univers féminin d’Elle est très exactement celui du gynécée » (ibid., p. 714).

42Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Des mots pour faire entendre un doute », 1978], p. 573.

43Jacques Henric, Artpress, mai 1977, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, tome V [« Entretien », 1977], p. 398.

44Roland Barthes, Œuvres complètes, tome IV [« L’affiche anglaise », 1972], p. 184.

45Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [Sade, Fourier, Loyola, 1971], p. 705.

46Roland Barthes, Œuvres complètes, tome III [« Voyage autour de Roland Barthes », entretien avec Gilles Lapouge, La Quinzaine littéraire, 1971], p. 1049.