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Roland

Barthes





n°2 - Barthes à l'étranger > octobre 2015




Leda Tenório da Motta

Ici et ailleurs. Le langage qui parle du langage


En 1989, un poète brésilien, critique-écrivain tout comme Barthes l’était, est impliqué dans une polémique semblable, à plusieurs égards, à celle qui opposa celui-ci à Picard, un quart de siècle auparavant, lors de la publication, en 1963, du Sur Racine .

Ce poète – dont, entre autres ouvrages, est traduit en français l’album Galaxies [1] (1984), lequel est préfacé par Jacques Roubaud et emporta, en 1999, le Prix Roger Caillois récompensant une oeuvre poétique étrangère publiée en France – s’appelle Haroldo de Campos. Comme dans le cas de Barthes, l’objet de la controverse qu’il suscita est une étude concernant l’oeuvre d’un virtuose de la versification du XVIIe siècle, en l’occurrence un artiste de la période coloniale brésilienne, un sonnetiste parfait, aussi brillant lyrique que satyrique, le portugais-bahianais Gregório de Matos (1636-1696).

Les coïncidences ne s’arrêtent pas là. Tout comme Barthes, Haroldo s’intéresse à une œuvre du patrimoine littéraire national, déjà maintes fois étudiée. Les excès de la poésie érotique et bouffonne de Gregório de Matos sont ainsi tout aussi exemplaires que la maîtrise classique de Racine : que ce soit dans le cadre de la vie de cour sous Louis XIV pour l’un ou dans celui de la vie populaire de Salvador pour l’autre, les deux artistes sont également éclatants. En surtout, la nouvelle lecture de ce génie de la période baroque, exposée par Haroldo, va soulever la même vague d’indignation que l’interprétation de Racine que Barthes osa, en son temps, proposer. Comme dans le Sur Racine , la critique est formelle et cela ne peut que déplaire à tous les spécialistes de la vie et l’oeuvre qui considèrent que l’oeuvre d’un auteur est le produit de son milieu.

En effet, à l’instar du procès fait à Barthes par les représentants de la tradition critique française qui estiment le Sur Racine “inconsistant” – et “saugrenu”, “pédantesque” et “forcené”[2] – l’approche haroldienne, dont témoigne le titre provocateur de son livre – La Séquestration du Baroque dans la Formation de la Littérature Brésilienne – sera estimée ethérée et prétensieuse. Avec le même zêle que celui qui éprit les conservateurs rassemblés jadis autour du professeur sorbonniste Raymond Picard – l’auteur du pamphlet Nouvelle critique ou nouvelle imposture (1965) où l’on trouve les apostrophes ci-dessus ainsi que l’appelation “nouvelle critique” désormais attribuée à la méthode barthésienne –, la critique universitaire locale criera à l’absurde. D’autant plus que cette relecture passionnée du baroque brésilien par Haroldo, poète contemporain qui se reclame lui-même du néo-baroque, s’élabore en s’opposant à une thèse bien ancrée dans les filières critiques dominantes, notamment à São Paulo, selon laquelle la littérature “nationale” ne commence qu’à la période romantique, tout ce qui précède relevant du domaine étranger portugais. C’est à cette thèse nationaliste que renvoie le mot du titre séquestration – qui est pris ici au sens freudien de “refoulement”[3] – désignant ainsi le phénomène qui élude tout un pan littérature brésilienne. De même, c’est à cette thèse que fait echo la suite du titre – Formation de la Littérature Brésilienne – renvoyant à l’oeuvre magistrale, datant des années 1950, du grand maître de cette tradition critique, le professeur Antonio Candido, auquel Haroldo fait don de ce qu’il appelle “une chance de discussion par delà la consécration”[4].

Ces coïncidences en sont-elles vraiment ? Mieux vaudrait songer à une communauté d’esprit. L’attention que prête Haroldo depuis les années 1960 aux écrits de Barthes semble confirmer le bien fondé de cette supposition. Mais c’est surtout la similitude de certains obstacles rencontrés par les deux critiques qui nous suggère de considérer comme un véritable point commun le penchant formaliste qu’ils partagent – penchant assumé par Barthes dans cette réplique fameuse adressé aux cercles lettrés, à laquelle souscrit toute la critique haroldienne: “ce qui n’est pas toléré c’est que le langage puisse parler du langage”[5].

L’hypothèse est d’autant plus envisageable que les sciences humaines brésiliennes, formées dans l’observation de la sociologie marxiste et très influencées, à l’époque dont nous parlons, par la critique dialectique – selon laquelle les conditions matérielles de l’existence façonnent les formes artistiques – sont réfractaires aux formalismes, supposés aliénants. Dans les conditions particulières de la société moderne brésilienne dont il est question – “périphérique” dans le contexte du capitalisme et “en retard” par rapport aux “cultures centrales”, d’après la nomenclature de ces dialécticiens –, les opérations formelles de lecture du texte ne sont pas seulement abstraites : ce sont des mimétismes, des maniérismes d’importation, la marque de la domination de l’autre. “Nous les brésiliens n’avons de cesse de faire l’expérience du caractère pastiche, non-authentique, imité de la vie culturelle qu’est la nôtre”, déclare un brave Picard issu des filières critiques dominantes de São Paulo, bien établies à l’université paulista[6].

Mais l’ingratitude du terrain où prospère Haroldo vient aussi du fait que ses opposants rejettent, du même coup que les avant-gardes de la pensée, celles de l’art. Obsedée par la blessure du colonialisme portugais et du post-colonialisme américain, la sociologie brésilienne vingtièmiste formule un inébranlable dictum: avant-garde et sous-développement, poésie pure et problèmes sociaux ne peuvent aller de pair. Il n’est d’ailleurs pas rare que cette sociologie[7] incrimine Mallarmé, poète traditionnellement qualifié de gongoriste, au mauvais sens du terme : “L’expression individuelle certainement n’est pas au programme qui vient de Mallarmé: il s’agit là de nettoyer le sujet de toute contingence individuelle pour arrriver à l’acte pur”[8] , affirme un des mandarins de l’université. Or, le groupe d’Haroldo est expérimentaliste et milite pour une poésie constructiviste, dite “concrète”, dont l’une des influences majeures est la dispersion syntactique du “coup de dés” mallarméen. Les “concrétistes” devront ainsi faire face à ceux qui pensent, avec Monsieur Poujade, que les esthètes outrés ne sont au fond que des oisifs des “bars chics de la rive gauche”[9].

C’est à évoluer dans ces difficultés qu’Haroldo évoque Barthes, dans son livre A arte no horizonte do provável(1969), recueil d’essais écrits entre 1959 et 1960, où figurent cinq références au critique-écrivain français. Dans ce petit traité de la modernité à l’heure de la mort du vers, qui pose à sa façon la question de la survivance de l’écrivain moderne, l’avant-propos attribue à Barthes “une nouvelle compréhension du littéraire qui rend compte de l’éversion des textes d’avant-gardes” [10]. Vraisemblablement, Haroldo pense-t-il ici au premier canon barthésien constitué par les romans sans roman d’Albert Camus, Raymond Queneau, Maurice Blanchot, Jean Cayrol et Alain Robbe-Grillet, aussi bien que par le théâtre de Bertold Brecht, desquels le “degré zéro” est redevable.

Après cette ouverture, le nom de l’auteur du Degré zéro de l’écriture reviendra systématiquement, à chaque chapitre du volume. Ces multiples références étant surtout le fait de l’intérêt porté par Haroldo aux développements du concept hjelmslevien de “connotation” proposés par Barthes. Pour le poète mallarméen qu’il est, qui pense que la poésie est faite de mots, la “connotation” a ceci de fascinant qu’elle reconnaît le relief du langage et donc le dépassement des objets du monde par la parole.

Les brèves citations concernant les opérateurs de la sémiologie barthésienne, qui se disséminent un peu partout dans ce premier livre, deviennent des références plus importantes dans Metalinguagem & Outras Metas (1992), où tout un chapitre (dont l’écriture date de 1980) est consacré à la nouveauté de la pensée critique de Barthes. Nous y trouvons deux remarques initiales précieuses pour quiconque s’intéresse au dialogue entre la France et le Brésil, de façon générale, et, plus particulièrement, à celui entre la poétique barthésienne et la poétique du groupe concrétiste paulista. Ces remarques concernent « l’irrégularité » de la première réception de Barthes au Brésil. Le degré zéro de l’écriture – vérifie Haroldo – ne sera traduit en brésilien que dix-huit ans après la publication du livre en France. Ainsi donc, les Essais critiques – dont une modeste mais vaillante maison d’édition de São Paulo rendait accessible un extrait depuis 1974[11] – sont proposés aux lecteurs brésiliens susceptibles de s’intéresser à l’actualité de l’essayisme français à l’aube de la seconde moitié du dernier siècle avant même que ceux-ci ne connaissent l’oeuvre avec laquelle débute la carrière du plus raffiné des essayistes de l’époque.

Dans ce second volume, plutôt que de souligner la passion du langage d’un Barthes qui a lu Saussure et ne peut s’empêcher de traiter toute représentation comme système de signes, Haroldo se penche longuement sur la façon dont le critique-écrivain oppose à l’histoire positiviste de la littérature, ancrée sur la description de l’extérieur de l’oeuvre, une voie autrement objective, fondée sur le travail interne du signifié, sans référence à aucun ailleurs du discours. La conception positiviste de la littérature s’inscrit dans la perspective du déroulement des siècles : l’art est perçu comme le réflexe de l’artiste et l’artiste est toujours considéré dans son époque. Telle est la perspective de Picard, qui, avant de se révolter contre ce qu’il entendait être l’impalpabilité de l’homme racinien barthésien, avait pris soin de reconstituer la vie de Racine dans La carrière de Jean Racine (1956) qui est un véritable “atlas biographique”, comme on a pu le décrire[12]. Au contraire, la voie choisie par Barthes se situe dans la perspective du temps long, ainsi que l’explique Haroldo qui non seulement reprend la métaphore galactique barthésienne mais la voit en plein travail chez Barthes: “le meilleur héritage de Barthes, le plus défiant, n’est pas la volonté de système [...] c’est la séduction pour la fête des signes, pour l’orgie du signifiant, pour la prolifération galactique. Dans S/Z, le ‘texte pluriel’ est conçu comme une ‘galaxie de signifiants’ et non pas comme une structure de signifiés” [13].

Ce qu’Haroldo entend par “prolifération”, “texte pluriel”, “galaxie de signifiants” n’est autre chose que l’intertextualité dont nous parle Barthes, influencé par les théories de Julia Kristeva – c’est à dire, le rapport du texte au texte, qui permet de sortir la littérature de la généalogie pour s’inscrire dans une histoire synchronique. Pour Haroldo comme pour Barthes, la création ne remonte pas à une source originaire où le génie créateur s’abreuverait mais le créateur est vu, au contraire, comme celui qui nourrit éternellement cette source. Comme Barthes le dit : “L’intertexte, qui n’est nullement, il faut le répéter, le banc des ‘influences’, des ‘sources’, des ‘origines’, auquel on ferait comparaître une oeuvre, un auteur, est, beaucoup plus largement et à un autre niveau, ce champ où s’accomplit […] la traversée de l’écriture: c’est le texte en tant qu’il traverse et est traversé…”[14]. Résumons : la notion “d’intertexte” sert à combattre “la Loi du contexte”[15].

La distinction que fait Barthes entre l’histoire technicienne des sociologues et l’Histoire vertigineuse de Michelet et, plus contemporainement, entre celles-ci et les nouvelles sciences humaines qui s’inspirent du travail de Claude Lévi-Strauss[16], n’échappe pas à Haroldo. De même que la liberté intellectuelle de l’homme qui n’hésite pas à ressusciter Michelet, dont il saura dire également que ce n’est pas “un homme d’école”. “Les incursions sémiologiques qui l’ont amené aux compilations des Élements de Semiologie (d’ailleurs très utiles), presque dans un acte d’apprentissage systématique, n’ont jamais prétendu à la normatisation, à la prescription”, renchérit- il[17]

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Des deux côtés, il y a, en somme, une perception très nette de l’étroitesse d’esprit des pédagogues de la critique et le critique-écrivain se garde bien des raisons déterministes du critique-professeur. Très tôt, Barthes a été sensible à l’abîme qui s’étendait entre deux gestes fondamentaux du critique et, même si la nouvelle critique est “nouvelle”, comme le veut Picard, il a toujours préféré l’un à l’autre. Nous le voyons ainsi, avant même l’affaire Racine et la réponse à Picard apportée par Critique et vérité (1966), partageant en deux le terrain qu’il a devant lui, dans un chapitre des Essais critiques nommé “Les deux critiques”. Ainsi, Gaston Bachelard, Maurice Blanchot, Lucien Goldmann, René Girard, Georges Poulet, Jean Starobinski sont les tenants de la “critique d’interprétation”, que Barthes plébiscite en raison de son activité de déchiffrement du texte : chercher à saisir le sens d’un texte c’est, au fond, se demander ce qu’est la littérature. De l’autre côté de la ligne de démarcation, se dresse la “critique universitaire” représentée par les “positivistes” qui pensent, dans la lignée de Gustave Lanson, que la littérature est “le produit d’une cause”.. Les valeurs des positivistes sont ainsi affirmatives plutôt qu’interrogatives, les faits littéraires ne sont pas à interpréter, ils sont à établir et la grande quête biographique vient alors garantir cet établissement[18]. Ailleurs, Barthes ajoutera que la deuxième formation est “fétichiste”[19] et que Lanson est “le prototype du professeur français”[20].

Il en va de même avec Haroldo qui, de son côté, est bien conscient de la distance qui sépare la recherche des origines littéraires – d’autant plus qu’en contexte brésilien cette recherche aboutit à l’affirmation nationaliste d’une littérature purgée de ses marques étrangères – et celle des constellations textuelles qui se répondent infiniment. Comme nous l’avons vu, le livre d’Haroldo s’intéresse à un autre ouvrage, celui de Candido, auquel renvoie explicitement le terme formation de son titre. Les théories Candido, historiographe reconnu qui entreprit de fixer les frontières exactes de la littérature brésilienne ou d’identifier la brésiliénité sans soupçon, était jusqu’alors intouchables. Haroldo, le premier, ose se pencher sur l’axiome qui établit les termes de l’illégitimité du produit brésilien: “La littérature brésilienne est un rameau secondaire de la littérature portugaise, elle-même arbuste du deuxième ordre dans le Jardin des Muses”[21]. Au sommet de cette hiérarchie, sont “du premier ordre” les troncs espagnol et français, compte tenu, d’une part, de la domination du royaume d’Espagne sur le royaume du Portugal au dix-septième siècle, qui a enchaîné la littérature portugaise au cycle d’or de la littérature espagnole (Gongora et Quevedo) et, d’autre part, de l’influence de la littérature française sur le dix-neuvième siècle européen. Dans le déroulement de l’histoire tel qu’il est décrit par Candido, le mouvement romantique tient à mettre fin à cette naissance doublement problématique, instituant, enfin, une thématique nationale, dans un système finalement accompli de relations entre l’auteur, l’oeuvre et le lecteur, bien distinct du système de transmission orale duquel dépendait encore la première culture coloniale.

Dans cette vision “botanique” de Candido, Haroldo décèle surtout, au-delà de la logique “généalogique” qui présume l’origine première, une “téléologie” qui annonce la fin ultime. Au discours édénique du Jardin par où les choses commencent s’associe un discours finaliste évoquant le moment romantique par la plénitude duquel les choses terminent. Cette idée est confirmée par la chronologie même de Candido, qui s’arrête en 1836, se déroulant ainsi comme si le vingtième siècle littéraire brésilien n’existait pas.

Dans le dessein de le comparer au Sur Racine de Barthes – principalement au niveau de l’impact sur l’université, à laquelle nous savons que l’auteur de la courtoise diatribe intitulée “Écrivains, intellectuels, professeurs” a toujours éprouvé des difficultés à appartenir[22] – rappelons les principaux évènements entourant l’ouvrage polémique d’Haroldo.

Lors de la sortie du livre – en vérité un opuscule, quantitativement parlant de la taille de Le degré zéro de l’écriture, qualitativement parlant de la même teneur – une résistance s’organise. Elle ne diffère de la réception du Sur Racine que dans la tactique, la stratégie étant la même: réduire cette nouvelle veine critique au silence. En France, la rage qui commande la réfutation de Sur Racine est franche : des lettres sont envoyées au journal Le Monde des Livres, un bruit énorme se répand, Picard n’élèvera sa rude parole, que Barthes qualifie de “lexique de l’exécution”[23], qu’après coup, pour orchestrer les réactions[24]. Au Brésil, un jeu du silence comminatoire se prépare. Agissant comme si Haroldo était un jeune critique inconnu – alors que le livre dont nous parlons était son douzième, prenant place dans un répertoire d’oeuvres critiques qui atteint aujourd’hui les vingt-trois titres, dont beaucoup sont posthumes – les départements de lettres vont l’ignorer. Cette concertation a tout pour fonctionner : les éditeurs qui ont voulu épauler le projet d’Haroldo sont de petits imprimeurs de Bahia, se trouvant hors de l’axe Rio-São Paulo [25], si bien que livre ne bénéficie d’aucun compte-rendu au sud du pays, ce qui le fait sombrer dans l’oubli rapidement. Une deuxième séquestration a lieu, Haroldo est envoyé au salon des refusés.

Il est temps de souligner qu’Haroldo ne s’empêche pas d’évoquer Jacques Derrida pour affirmer que la théorie de la formation telle qu’elle est pensée par Candido est métaphysique : “Dans cette perquisition de la démarche aventureuse de l’esprit (le Logos, l’Être) de l’Occident en quête de sa nouvelle demeure (l’habitacle, la Maison du Logos) en terre américaine une métaphore animiste se profile, décidemment ontologique (auscultation de la voix de l’Être, thème cher à la métaphysique de la présence)”[26]. Mais il ne manque pas non plus d’évoquer Roman Jakobson pour signaler que le rôle décisif accordé à l’action des romantiques relève des fonctions référentielle et expressive du langage, centrées sur le contenu du message et le destinataire, au détriment des fonctions poétique et métalinguistique, centrées, elles, sur l’organisation et la vérification du code : “Le modèle sémiologique articulé par Candido pour décrire la formation de la littérature brésilienne est un modèle communicatif-émotif obéissant à la fonction d’extériorisation des velléités les plus profondes de l’individu et d’interprétation de la réalité’”, écrit-il[27].

Barthes ne saurait penser autrement. L’attention que la fonction poétique porte au signe est reconnu par lui, d’entrée de jeu, dans le chapitre “Y-a-t-il un langage poétique?” du Degré zéro de l’écriture dans lequel il affirme que la poésie classique tient tout entière dans “l’expression”, ne désignant “aucune étendue, aucune épaisseur particulière du sentiment, aucune cohérence, aucun univers séparé”. Plus loin, on lit aussi que les poètes modernes “instituent désormais leur parole comme une Nature fermée, qui embrasserait à la foi la fonction et la structure du langage”[28].

Idées, mots, méthodes, ironies... Tout se correspond dans ces perspectives en marge des idées reçues. Pour Barthes comme pour Haroldo le langage est plus grand que le monde. Et c’est pourquoi c’est au langage de parler.



résumé

En 1989, un poète brésilien, critique-écrivain tout comme Barthes l’était, est impliqué dans une polémique semblable, à plusieurs égards, à celle qui opposa celui-ci à Picard, un quart de siècle auparavant, lors de la publication, en 1963, du Sur Racine. Ce poète s’appelle Haroldo de Campos et, comme dans le cas de Barthes, l’objet de la controverse qu’il suscita est une étude concernant l’oeuvre d’un virtuose de la versification du XVIIe siècle, en l’occurrence un artiste de la période coloniale brésilienne, un sonnetiste parfait, aussi brillant lyrique que satyrique, le portugais-bahianais Gregório de Matos (1636-1696).Compte tenu de ces similitudes, qu'il s'agit de ne pas considérer comme de simples coïncidences, le présent article traite d´un dialogue entre Barthes et Haroldo, non pas immédiatemment visible mais, à la réflexion, évident.


Notes

[1]Haroldo de Campos, Galaxies, Traduction de Ines Oseki Depré, Paris, La Main Courante, 1998.

[2]Selon les expressions appliquées à la nouvelle critique que recense Barthes dans Critique et vérité, dans Oeuvres Complètes II, Paris, Seuil, 2002, p. 763, note 1.

[3]Haroldo de Campos, O Sequestro do Barroco na Formação da Literatura Brasileira O caso Gregório de Matos, Salvador, Fundação Casa de Jorge Amado, 1989. La signification particulière que revêt ici le mot “séquestration” sera systématiquement rappelée par Haroldo, pour s’éloigner du sens de “mise sous séquestre” sur lequel s’appuient ses détracteurs pour l’accuser d’être verbalement violent.

[4]Haroldo de Campos, O Sequestro do Barroco na Formação da Literatura Brasileira O caso Gregório de Matos, op.cit., p. 12.

[5]Roland Barthes, Critique et vérité, dans Oeuvres Complètes II, op.cit., p. 761.

[6]Roberto Schwarz, “Nacional por subtração” dans Que horas são?, São Paulo, Companhia das Letras, 2002, p. 28. Essai datant de 1986.

[7]L’ancienne tradition brésilienne qui rejette Mallarmé remonte au poète et critique moderniste Mário de Andrade qui, dans sa phase nationaliste post-révolutionnaire, déclare : “Il faut ne pas revenir à Gongora! Il faut éviter Mallarmé” (Mário de Andrade, A escrava que não era Isaura. Discurso sobre algumas tendências da poesia modernista, São Paulo, Livraria Lealdade, 1925, p. 67.

[8]Roberto Schwarz, “Marco Zero” dans Que horas são?, op. cit., p. 64.

[9]Roland Barthes, “Poujade et les intellectues” dans Oeuvres Complètes I, Paris, Seuil, 2002, p. 815.

[10]Haroldo de Campos, A arte no horizonte do provável, São Paulo: Perspectiva, 1969, p. 10.

[11]Il s’agit de Editora Perspectiva, mais dans laquelle Haroldo est lui-même publié. Cf. Haroldo de Campos, “Sobre Roland Barthes” dans Metalinguagem & Outras Metas, São Paulo, Editora Perspectiva, 1992, p. 119.

[12]Serge Doubrovski, Pourquoi la nouvelle critique? Critique et objectivité, Paris, Mercure de France, 1996, p. 24.

[13]Haroldo de Campos, Metalinguagem & Outras Metas, op.cit., p. 126.

[14]Roland Barthes, “Réponses”, dans Oeuvres Complètes III, Paris, Seuil, 2002, pp. 1037-1038.

[15]Ibid., p. 1037.

[16]Roland Barthes, “ Les sciences humaines et l’œuvre de Lévi-Strauss”, dans Œuvres Complètes II, op.cit., p. 571.

[17]Haroldo de Campos, « Sobre Roland Barthes » dans Metalinguagem & Outras Metas, op.cit., p. 123.

[18]Roland Barthes, “Les deux critiques”, dans Oeuvres Complètes II, op.cit., pp. 496-497.

[19]Roland Barthes, “L’Express va plus loin avec Roland Barthes”, dans Oeuvres Complètes III, op.cit., p. 674.

[20]Roland Barthes, “Qu’est-ce que la critique?”, dans Oeuvres Complètes II, op.cit., p. 503.

[21]Antonio Candido, Préface de 1957 à Formação da Literatura Brasileira- Momentos decisivos, Belo Horizonte- Rio de Janeiro, Editora Itatiaia (1956), 1993, p. 9.

[22]Roland Barthes, “Écrivains, intellectuels, professeurs”, dans Oeuvres Complètes III, op.cit., pp. 887-907.

[23]Roland Barthes, Critique et vérité, Oeuvres Complètes II, op.cit., p. 763, note 2.

[24]Serge Dubrovski, Pourquoi la nouvelle critique?, Op. cit., p. 24.

[25]Il s’agit d’une organisation non gouvernementale – Fundação Casa de Jorge Amado – consacrée à la recherche sur l’oeuvre du fameux écrivain qui lui donne son nom aussi bien qu’aux débats sur la culture bahianaise.

[26]Haroldo de Campos, O Sequestro do Barroco na Formação da Literatura Brasileira- O caso Gregório de Matos, op. cit., pp.12-13.

[27]Ibid., pp. 26-17.

[28]Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, dans Oeuvres Complètes I, op.cit., pp. 196-197.


Auteur

Leda Tenório da Motta est Professeur de Sémiologie au Programme d´Études en Communication et Sémiotique de l'Université Catholique de São Paulo

Pour citer cet article

Leda Tenório da Motta, « Ici et ailleurs. Le langage qui parle du langage  », in Claude Coste & Mathieu Messager (dir.), Revue Roland Barthes, nº 2, octobre 2015, « Barthes à l'étranger », [en ligne]. URL : http://www.roland-barthes.org/article_da_motta.html [Site consulté le DATE].


1Haroldo de Campos, Galaxies, Traduction de Ines Oseki Depré, Paris, La Main Courante, 1998.

2Selon les expressions appliquées à la nouvelle critique que recense Barthes dans Critique et vérité, dans Oeuvres Complètes II, Paris, Seuil, 2002, p. 763, note 1.

3

4Haroldo de Campos, O Sequestro do Barroco na Formação da Literatura Brasileira O caso Gregório de Matos, Salvador, Fundação Casa de Jorge Amado, 1989. La signification particulière que revêt ici le mot “séquestration” sera systématiquement rappelée par Haroldo, pour s’éloigner du sens de “mise sous séquestre” sur lequel s’appuient ses détracteurs pour l’accuser d’être verbalement violent.

5 O Sequestro do Barroco na Formação da Literatura Brasileira O caso Gregório de Matos, op.cit., p. 761.

6Roberto Schwarz, “Nacional por subtração” dans Que horas são?, São Paulo, Companhia das Letras, 2002, p. 28. Essai datant de 1986.

7L’ancienne tradition brésilienne qui rejette Mallarmé remonte au poète et critique moderniste Mário de Andrade qui, dans sa phase nationaliste post-révolutionnaire, déclare : “Il faut ne pas revenir à Gongora! Il faut éviter Mallarmé” (Mário de Andrade, A escrava que não era Isaura. Discurso sobre algumas tendências da poesia modernista, São Paulo, Livraria Lealdade, 1925, p. 67.

8Roberto Schwarz, “Marco Zero” dans Que horas são?, op. cit., p. 64.

9Roland Barthes, “Poujade et les intellectues” dans Oeuvres Complètes I, Paris, Seuil, 2002, p. 815.

10Haroldo de Campos, A arte no horizonte do provável, São Paulo: Perspectiva, 1969, p. 10.

11Il s’agit de Editora Perspectiva, mais dans laquelle Haroldo est lui-même publié. Cf. Haroldo de Campos, “Sobre Roland Barthes” dans Metalinguagem & Outras Metas, São Paulo, Editora Perspectiva, 1992, p. 119.

12Serge Doubrovski, Pourquoi la nouvelle critique? Critique et objectivité, Paris, Mercure de France, 1996, p. 24.

13Haroldo de Campos, Metalinguagem & Outras Metas, op.cit., p. 126.

14Roland Barthes, “Réponses”, dans Oeuvres Complètes III, Paris, Seuil, 2002, pp. 1037-1038.

15Ibid., p. 1037.

16Roland Barthes, “ Les sciences humaines et l’œuvre de Lévi-Strauss”, dans Œuvres Complètes II, op.cit., p. 571.

17Haroldo de Campos, « Sobre Roland Barthes » dans Metalinguagem & Outras Metas, op.cit., p. 123.

18Roland Barthes, “Les deux critiques”, dans Oeuvres Complètes II, op.cit., pp. 496-497.

19Roland Barthes, “L’Express va plus loin avec Roland Barthes”, dans Oeuvres Complètes III, op.cit., p. 674.

20Roland Barthes, “Qu’est-ce que la critique?”, dans Oeuvres Complètes II, op.cit., p. 503.

21Antonio Candido, Préface de 1957 à Formação da Literatura Brasileira- Momentos decisivos, Belo Horizonte- Rio de Janeiro, Editora Itatiaia (1956), 1993, p. 9.

22Roland Barthes, “Écrivains, intellectuels, professeurs”, dans Oeuvres Complètes III, op.cit., pp. 887-907.

23Roland Barthes, Critique et vérité, Oeuvres Complètes II, op.cit., p. 763, note 2.

24Serge Dubrovski, Pourquoi la nouvelle critique?, Op. cit., p. 24.

25Il s’agit d’une organisation non gouvernementale – Fundação Casa de Jorge Amado – consacrée à la recherche sur l’oeuvre du fameux écrivain qui lui donne son nom aussi bien qu’aux débats sur la culture bahianaise.

26Haroldo de Campos, O Sequestro do Barroco na Formação da Literatura Brasileira- O caso Gregório de Matos, op. cit., pp.12-13.

27Ibid., pp. 26-17.

28Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, dans Oeuvres Complètes I, op.cit., pp. 196-197.